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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/418

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REVUE DES DEUX MONDES.

les moins intéressans, passent entièrement inaperçus aux yeux des voyageurs. Ainsi, au pied de la montagne du Roule, on rencontre un bassin d’une grande étendue, également encadré de granit, que la marée basse laisse presque à sec, et qui n’offre alors qu’une surface de vase. La petite rivière de la Divette, qui descend de la montagne, traverse avec lenteur ce bassin, et on l’aperçoit glissant limpidement sur la bourbe épaisse qui en couvre le fond. Sous cette bourbe sont cachés des trésors. On y conserve les plus beaux bois de mâture que fournissent nos forêts. À quelques pieds sous la boue, on a enseveli pour plus de deux millions de mâts de frégates et de vaisseaux de guerre, hauts, droits et sveltes. C’est là qu’on irait les chercher à la veille d’une guerre, pour les dresser sur les bâtimens qui gisent encore dans les cales, et les couvrir de cordes et de voilures. Ce trésor, amoncelé depuis longues années par de prudentes mains, s’accroît encore chaque jour, et ne se détériore jamais, vu que le bassin où il est disposé reçoit tour à tour l’eau de la mer à la marée montante, et à la marée basse, les ondes douces et salutaires de la petite rivière qui le traverse. Or, l’eau douce a la propriété de détruire les insectes que l’eau salée engendre, et l’eau salée fait périr tous les animalcules qui séjournent dans les eaux des rivières. Aussi les bois qu’on retire de ce singulier magasin sont-ils toujours dans un état de conservation parfaite, on peut les employer aussitôt, et dans un cas pressant, ce bassin suffirait à remâter toutes nos flottes.

La digue est au nombre de ces merveilles invisibles qu’il faut chercher à ses pieds. De la plage, à peine découvre-t-on un petit amas de pierres qui perce l’eau sur une étendue de quelques toises. Pour voir la digue, il faut s’embarquer dans un canot et gagner l’entrée de la rade. Là vous apercevez, à une longue distance, deux tonneaux qui flottent de chaque côté de l’entrée du port, non loin des deux forts opposés qui le défendent. Ces deux tonneaux marquent les deux extrémités de la digue où s’élèveront, un jour, des forts de granit semblables à ceux qui dominent les rochers de l’Île Pelée et de la pointe de Querqueville. En approchant, et en vous courbant bien en-dehors de votre barque, vous distinguez comme une longue ligne sombre dessinée sous les eaux bleues de la rade. C’est le reflet des pierres entassées au fond de l’eau, et sur lesquelles s’appuiera