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vérance on peut faire qu’un cheval porte très bien son vin. J’en ai connu un, en Colombie, qui avait été accoutumé à boire deux fois le jour de la chicha, sorte de bière faite avec du maïs et du sirop de sucre. Quand son heure était arrivée, il ne se sentait pas plus tôt libre qu’il allait à la porte de la cabaretière, et si cette porte était fermée, il frappait avec un des pieds de devant jusqu’à ce qu’on vînt lui ouvrir. Deux personnes qui se trouvent maintenant à Paris, MM. Lanz et Boussingault, ont été, comme moi, plusieurs fois témoins du fait. Le maître de ce cheval ne forma pas un second élève. Il succomba malheureusement après avoir gagné un pari, qui consistait à boire de suite trois bouteilles d’eau-de-vie.

Dans l’Inde, où l’usage des liqueurs fermentées est remplacé par celui de l’opium qui produit à peu près les mêmes effets, c’est-à-dire d’exciter agréablement le cerveau et de ranimer les forces, on donne de l’opium aux chevaux dans les circonstances où nous leur donnerions du vin. C’est ce que nous apprend un médecin anglais, M. Burns, qui avait été envoyé par la compagnie pour guérir de la fièvre un des souverains du Cutch. « Une fois, nous dit-il, après une marche de nuit très fatigante, en compagnie d’un cavalier Cutch, je me sentis si harassé lorsque le matin fut venu, que je consentis volontiers, sur la demande de mon guide, à faire une halte de quelques minutes. Il profita de ce temps de repos pour partager avec son cheval environ deux gros d’opium. L’effet de cette drogue sur l’homme et la bête fut évident, car le cheval, après cela, fit encore quarante milles sans paraître gêné, et l’homme, de son côté, pendant tout le reste de la route se montra sensiblement plus actif et plus intelligent. »

Les premiers chevaux qui passèrent dans le nouveau continent furent, comme on le sait, pour les naturels un grand objet de terreur, et ils contribuèrent beaucoup à la rapidité de la conquête. Par ce motif, et en raison de l’extrême difficulté qu’on avait à s’en procurer, ils furent, dans les premiers temps, l’objet d’un extrême intérêt. Ainsi, lorsque Quesada marchait à la découverte de la Nouvelle-Grenade, craignant, dans un moment de grande disette, qu’on ne pensât à se nourrir de la chair des chevaux, il fit proclamer peine de mort contre l’homme qui tuerait un de ces animaux. Dans l’expédition de Cortez, on comptait seize chevaux seulement, et Bernal Diaz del Castillo a soin de nous donner le signalement de chacun d’eux, ses bonnes et mauvaises qualités. Nous savons que Cortez au commencement avait un cheval zain qui mourut en arrivant à saint Juan de Ulua, et qu’alors il acheta de Porto Carrero, pour les aiguillettes d’or dont il se paraît à la Havane, une jument grise grande coureuse. Notre auteur nous apprend aussi qu’un soldat, nommé Jean Sedeño, était le plus riche de la troupe ; car outre qu’il était propriétaire d’un des petits bâtimens de transport où