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Reste donc la littérature théâtrale, je dirais presque la littérature immobile, celle qui ne s’inquiète ni des temps ni des lieux. Celle-là, nous l’avons tentée, et c’est ici que je m’arrête. Lorsqu’un siècle est mauvais, lorsqu’on vit dans un temps où il n’y a ni religion, ni morale, ni foi dans l’avenir, ni croyance au passé ; lorsqu’on écrit pour ce siècle, on peut braver toutes les règles, renverser toutes les statues ; on peut prendre pour dieu le mal et le malheur, on peut faire les brigands de Schiller, si l’on est Schiller par hasard, et répondre d’avance aux hommes qui vous jugeront un jour : « Mon siècle était ainsi, je l’ai peint comme je l’ai trouvé ». Mais quand il s’agit de distraire la multitude, lorsqu’en prenant la plume et en se frappant la tête, on se donne pour but d’amener à grands frais dans une salle de spectacle un public blasé et indifférent, et là, de lui faire supporter deux heures de gêne et d’attention, sans lui parler de lui, simplement avec vos caprices, avec les rêves de vos nuits sans sommeil ; quand on veut faire de l’art, à proprement parler, rien que de l’art, comme on dit aujourd’hui, oh ! alors il faut songer deux fois à ce que l’on va faire ; il faut songer surtout à cette belle statue antique qui est encore sur son piédestal. Il faut se dire que là où le motif qui vous guide la main, n’est pas visible à tous, actuel, irrécusable, la tête et le cœur répondent de la main ; il faut savoir, que dès qu’un homme, en vous écoutant, ne se dit pas : J’en écrirais autant à sa place, il est en droit de vous demander : Pourquoi écrivez-vous cela ? Que lui répondrez-vous, si votre fantaisie a des ailes de cire, qui fondent au premier rayon du soleil ?

Les règles sont tristes, je l’avoue ; et c’est parce qu’elles sont tristes que la littérature théâtrale est morte aujourd’hui ; c’est parce que nous n’avons plus Louis xiv et Versailles qu’on ne joue plus Athalie, c’est parce que César est mort que nous ne lisons plus Virgile ; c’est parce que notre siècle est l’antipode des grands siècles, que nous brisons leur pâle idole, et que nous la foulons aux pieds.

Mais que nous ayons voulu la remplacer, voilà la faute, rien n’est si vite fait que des ruines ; rien n’est si difficile que de bâtir. Du jour où le public, ce sultan orgueilleux, a répudié sa favorite, jetez le sérail à la mer ; à quoi servait de lui venir montrer des Étiopiennes difformes, et jusqu’à des monstres morts-nés pour exciter encore sa lubricité blasée ? Les combats de taureau mènent aux