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LA CORNOUAILLE.

nuit, des feux pour tromper les navires et les attirer sur les rescifs. Parfois même, une lanterne était attachée à la tête d’un taureau ; une corde liée à ses deux cornes était passée autour d’une de ses jambes de devant, de sorte qu’à chaque pas de l’animal sa tête s’abaissait et se relevait ; la lanterne, en suivant ce mouvement, pouvait être prise de loin pour le fanal d’un bâtiment agité par le tangage, et attirer ainsi, sur les rochers, des navires incertains de leur route : ce cruel stratagème tourna souvent contre les marins du pays. Plus d’une fois, la marée du matin apporta les cadavres de parens ou d’amis aux pieds de ceux-là même qui avaient allumé la veille le feu fatal qui les avait perdus. Le temps fait disparaître ces horribles coutumes, mais sans détruire parmi les populations côtières la pensée que les débris des naufrages sont leur propriété : « La mer, dit le paysan kernewote dans son langage énergique, est comme une vache qui met bas pour nous ; ce qu’elle dépose sur son rivage nous appartient. » Aussi, n’est-ce qu’avec le sabre et le mousquet que l’on peut empêcher le pillage, lorsqu’un navire est venu à la côte ; maintenant encore c’est un spectacle curieux et saisissant que celui d’un naufrage de nuit dans nos baies : au premier coup de canon de détresse, hommes, femmes, enfans, se précipitent vers la mer avec des lanternes et des fascines allumées ; on voit courir sur les grèves, descendre le long des promontoires, ces mille clartés qu’accompagnent des cris d’appel bizarres et terribles ; bientôt les fusils des douaniers brillent, les voix des pêcheurs et des pilotes s’élèvent au-dessus de l’orage, se renvoyant des avis ou des signaux ; — et au milieu de cette confusion lugubre, passe le navire, rapide comme une flèche, avec sa haute mâture que plie le vent, ses larges voiles déchirées par la tempête, ses cris de désespoir, ses prières étouffées ; — tandis que sur le cap, à la lueur des feux, mille visages ardens le regardent, et qu’un prêtre accouru pour arrêter le pillage répète à demi-voix la prière des agonisans !…

Et qu’on ne pense pas que ces scènes soient peu fréquentes. Les naufrages, sur ces côtes, sont assez multipliés pour que certains pêcheurs en fassent une sorte de revenu annuel. Tout le monde se rappelle encore Philopen, le sauvage d’Audierne, qui n’eut jamais d’autres moyens d’existence, et que l’on voyait rôder sur les rescifs, les jours de gros temps, comme un loup cervier autour d’un champ de bataille. Déposé, tout enfant, par l’équipage d’un navire étranger, sous le porche de l’église de Treguernec, il avait grandi sur la grève, n’entendant d’autres voix que le mugissement des flots, ou, parfois, la brutale insulte d’un pâtre qui lui jetait une pierre en passant. Ses lèvres n’avaient appris d’autre langage que quelques cris aigus imités des oiseaux marins ; son