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pour défendre le droit et la liberté ; il ne conspira pas : même dans les dernières années de la restauration, il ne croyait plus au triomphe possible d’une révolution soudaine, quand les trois journées arrivèrent. Alors il rassembla toutes ses forces pour servir les succès d’une cause dont il n’avait pas déserté les disgrâces : un instant il crut à l’avenir ; mais tout-à-coup il vit clair au fond de certaines choses et de certains hommes ; une immense amertume lui monta au cœur, et il mourut.

Il y a entre le génie et la destinée d’un homme des rapports d’action et de réaction. Les dispositions naturelles influent sur la direction de la vie, mais aussi les événemens qui la traversent fortifient et aggravent les pentes de la nature. Il était dans le génie de Benjamin Constant de saisir les idées et les choses, non pas dans leur affirmation même, mais dans leur opposition : cette inclination naturelle en faisait plutôt un observateur critique qu’un penseur dogmatique, plutôt un tribun qu’un ministre ; mais combien n’a-t-elle pas été encouragée, accrue et fomentée par les circonstances extérieures, par leur rapide et violente intervention ! Ne soyez pas surpris si Benjamin Constant considère la liberté, surtout comme une garantie et une défense ; Robespierre vient de disparaître, Bonaparte exerce sa dictature, les Bourbons habitent les Tuileries. Constant regardera aussi la religion, surtout comme un refuge de plus contre toutes les tyrannies qui oppriment la terre ; enfin il prendra tout en flanc, en opposition, et rarement il considérera les choses humaines dans leur base carrée, leur vaste synthèse et leurs générations fécondes.

Pour être tel, Benjamin Constant n’est pas moins grand que se le représentent les hommes qui vénèrent sa mémoire et son illustration ; il avait du génie ; il eut autant d’esprit qu’homme de France ; il comprenait toutes choses ; il écrivait admirablement ; il enfermait dans peu de pages de nombreuses pensées ; il répandait la lumière sur tout. La finesse de ses aperçus n’a jamais été un obstacle à la popularité de ses écrits, tant leurs détails les plus ingénieux étaient toujours revêtus d’une transparente clarté ! L’Europe avait confondu son nom avec la cause libérale elle-même, et, dans beaucoup d’esprits, Benjamin Constant avait vraiment succédé à l’autorité de Montesquieu.