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REVUE DES DEUX MONDES.

Je suis sous le sceau de la mort !
Marqué de sa terrible empreinte,
Les vivans me verront comme un objet de deuil,
Vain reste du trépas, tel qu’une lampe éteinte
Qui fume encor près d’un cercueil.

Pourquoi me renvoyer vers ces rives fleuries
Dont j’aurais tant voulu ne m’éloigner jamais ?
Pourquoi me rapprocher de ces têtes chéries,
Objet de tant d’amour et de tant de regrets ?
Hélas ! pour mon ame abattue,
Tous lieux sont désormais pareils.
Je porte dans mon sein le poison qui me tue ;
Changerai-je de sort en changeant de soleils ?
J’entends… ma fin prochaine en sera moins amère ;
Mes amis, il suffit : je suivrai vos conseils,
Et je mourrai du moins dans les bras de ma mère.

Charles Loyson vit paraître les vers d’André Chénier et ceux de Lamartine ; on a les jugemens qu’il en porta. Il fit, dans le Lycée, quatre articles sur Chénier[1] ; le premier est un petit chef-d’œuvre de grace, de critique émue et ornée. L’écrivain nous y raconte ce qu’il appelle son château en Espagne, son rêve à la façon d’Horace, de Jean-Jacques et de Bernardin de Saint-Pierre : une maisonnette couverte en tuiles, avec la façade blanche et les contrevents verts, la source auprès, et au-dessus le bois de quelques arpens, et paulum silvæ. « Ce dernier point est pour moi, dit-il, de première nécessité ; je n’y tiens pas moins que le favori de Mécène : encore veux-je qu’il soit enclos, non pas d’un fossé seulement ou d’une haie vive, mais d’un bon mur de hauteur avec des portes solides et bien fermées. L’autre manière est plus pastorale et rappelle mieux l’âge d’or, je le sais ; mais celle-ci me convient davantage, et d’ailleurs je suis d’avis qu’on ne peut plus trouver l’âge d’or que chez soi. » Quand sa muraille est élevée, il s’occupe du dedans ; il dispose son jardin anglais, groupe ses arbres, fait tourner ses allées, creuse son lac, dirige ses eaux, n’oublie ni le pont, ni les kiosques, ni les ruines ; c’est alors qu’il exécute un projet favori, et dont nul ne s’est avisé encore. Dans l’endroit le plus retiré des bocages, il consacre un petit bouquet de cyprès, de bouleaux et d’arbres verts, aux jeunes écrivains morts avant le temps. Le détail d’exécution est à ravir. Une urne cinéraire,

  1. Tome II, 1819.