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SALON DE 1840.

ainsi dégagée, la figure deviendrait plus élégante. Le portrait de Mlle Rachel, par M. Charpentier, rappelle assez infidèlement la couleur et l’expression du visage de la jeune tragédienne. M. Charpentier n’a pas voulu copier littéralement la réalité qu’il avait sous les yeux ; nous sommes loin de blâmer cette résolution, mais une fois décidé à interpréter le visage qu’il voulait peindre, il devait s’attacher à en saisir le sens intime, afin d’exagérer logiquement les traits caractéristiques de son modèle. Or, c’est ce qu’il n’a pas fait ; nous ne retrouvons dans le portrait de Mlle Rachel ni le dédain ni l’ironie qui constituent l’originalité de cette jeune fille : la tête peinte par M. Charpentier n’exprime guère que l’ennui. Les lignes du visage sont plus pures, plus correctes que dans le modèle ; mais l’accent a disparu. Le portrait de M. Guyon mérite à peu près les mêmes reproches ; le modèle exprime plutôt l’énergie que la rêverie. Or, dans le portrait peint par M. Charpentier, la tête réfléchit et ne veut pas. Si l’auteur veut obtenir dans la peinture de portrait des succès durables, il faut qu’il se tienne en garde contre ses habitudes d’amoindrissement, car les portraits de Mlle Rachel et de M. Guyon auraient beaucoup plus de valeur, si M. Charpentier eût accepté franchement l’expression habituelle de ces deux têtes.

Les portraits de M. Dubufe surpassent en laideur et en gaucherie tout ce que nous avons vu jusqu’ici. Il est impossible d’imaginer un dessin plus ridiculement ignorant ; une couleur plus honteusement fausse. Il n’y a pas une des femmes peintes par M. Dubufe qui puisse marcher ou lever le bras. Le succès des portraits de M. Dubufe prouve malheureusement que le goût de la peinture n’est pas aussi répandu en France qu’on se plaît à le dire, car il n’y a rien de commun entre la peinture et M. Dubufe. Il trouve moyen d’enlaidir les plus beaux visages, de donner aux bouches les plus fines, aux regards les plus intelligens, une expression triviale. Disons-le franchement, la popularité de M. Dubufe, trop évidente pour être contestée, est un véritable scandale. Il n’y a pas une auberge de village dont l’enseigne ne vaille, pour la couleur et le dessin, les portraits de M. Dubufe. Tant que M. Dubufe ne se lassera pas de peindre, la critique ne devra pas se lasser de répéter que les portraits de M. Dubufe sont hideux et difformes ; elle ne devra pas se lasser de dire aux gens du monde, pour qui la peinture n’est qu’un délassement et n’a jamais été une étude, que M. Dubufe ne sait dessiner ni une tête ni une main, que les yeux de ses portraits ne regardent pas, que leurs mains n’ont pas de phalanges, que leurs bouches ne pourraient parler ; enfin, qu’il a