Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
127
DU THÉÂTRE EN ANGLETERRE.

breux drames métaphysiques produits par l’école de Wordsworth et de Coleridge ; œuvres bizarres, parmi lesquelles nous distinguerons spécialement le Paracelse de Robert Browning.

Paracelse (Paracelsus, a drama) est d’autant plus digne de remarque, que son mérite a passé à peu près inaperçu en Angleterre. Rarement un poète a perdu plus de pensée, d’éclat, de pathétique et de profondeur dans une création sans avenir, mais non sans puissance. Comme essai dramatique, c’est le néant même. À peine éclos, vite oublié, noyé dans les dissertations d’une esthétique nuageuse et dans les périphrases d’un style prolixe, ce livre doit être signalé cependant comme une très belle analyse psychologique et morale.

L’auteur a voulu mettre en scène un révolutionnaire de la science et intéresser le lecteur aux vicissitudes de sa pensée. Le personnage de Paracelse était bien choisi ; il représente tout un mouvement de civilisation. Fils du XIXe siècle, nous sommes étonnés de celui qui s’opère sous nos yeux ; au commencement du XVIe, il s’en fit un bien plus étrange dont le nôtre n’est que le développement, et dont nous suivons encore l’impulsion. Alors paraissent en même temps Cardan, rédacteur de magnifiques formules géométriques ; Copernic, qui dit au soleil comme Josué : Arrête-toi ! Corneille Agrippa, qui soutenait en 1510 la même thèse que Jean-Jacques en 1750 ; Luther, Calvin et Melancthon. Par eux, toute la vieille autorité est ébranlée. Les évolutions du monde nouveau vont s’opérer sur un nouvel axe. Je ne pardonne pas à Voltaire de s’être moqué de Cardan et d’avoir abaissé Luther. Qu’était-il, Voltaire, qui cultivait le doute ; qu’était-il, auprès de ceux qui en avaient hardiment jeté le premier germe dans le sol de l’Europe ? Le plus original de ces personnages étranges fut, sans aucun doute, Paracelse, qui renouvela la médecine et créa la chimie moderne, nécromant, sorcier, alchimiste, charlatan ; Paracelse, qui se vanta d’avoir trouvé la pierre philosophale et la quadrature du cercle, et qui enfermait le démon dans le pommeau de son épée. L’ardeur de la science, la fièvre de connaître, le besoin de la gloire, précipitèrent à travers toutes les folies, tous les voyages, tous les ridicules, cette intelligence enflammée. C’est Faust réduit à la réalité, n’écoutant d’autre Méphistophélès que ses passions et son amour-propre, entouré d’envieux et d’admirateurs, plein de mépris pour l’espèce humaine, qui est si facile à tromper, irrité jusqu’au délire de notre impuissance à pénétrer les secrets de la vie ; aux yeux des uns, ange de lumière ; aux yeux des autres, fils de l’enfer ; à ses propres yeux, être incomplet et impuissant ; pour l’histoire et l’avenir, énigme.