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L’IRLANDE SOCIALE, POLITIQUE ET RELIGIEUSE.

celle de l’immense majorité, tandis qu’en Irlande c’est tout le contraire. En Irlande, il ne s’agit donc point, comme en Angleterre, d’examiner, du point de vue de la philosophie et de la politique, si une église dominante est en soi une bonne institution, et si le culte de la majorité doit être ou non investi de certaines prérogatives et de certains priviléges ; il s’agit de secouer le joug d’une église dont les priviléges et les prérogatives sont une insulte pour la majorité, et la blessent profondément dans ses sentimens les plus élevés, dans ses croyances les plus intimes ; il s’agit aussi d’affranchir une population misérable d’un impôt doublement odieux, puisqu’il pèse à la fois sur l’ame et sur le corps.

Maintenant, comment, sans réaction et sans violence, est-il possible de détruire en Irlande l’établissement anglican ? Il n’y a que deux moyens : laisser chaque congrégation religieuse payer elle-même ses prêtres, ainsi que le font aujourd’hui la congrégation catholique et les congrégations dissidentes ; salarier les ministres de toutes les communions. De ces moyens, le premier paraît le plus simple ; mais en y réfléchissant, on voit qu’il pourrait avoir de graves inconvéniens. Pour l’église anglicane, établie sur tous les points du pays et habituée à une vie facile, ce serait d’abord une épreuve bien dure, et à laquelle il est douteux qu’elle résistât. Or, on ne doit pas oublier que les huit cent mille Irlandais qui professent la religion anglicane sont une des portions les plus éclairées, les plus riches, les plus industrieuses du pays, et que l’état leur doit, à plusieurs titres, aide et protection. D’un autre côté, une fois l’égalité religieuse proclamée et réalisée, n’est-il pas à craindre que l’indépendance absolue du clergé catholique ne devienne un danger public ? Aujourd’hui, placé en face du fanatisme anglican et des violences orangistes, le clergé catholique professe, en matière de tolérance et de liberté, les idées les plus libérales ; mais l’expérience des autres pays prouve que la pente naturelle du clergé catholique n’est pas de ce côté. Il est donc bon que le salaire soit entre l’état et lui un lien qui le contienne et le modère. Il est bon aussi qu’il soit un peu moins dans la dépendance du peuple, et qu’il n’ait pas besoin, pour vivre, de ménager ses passions et de flatter ses préjugés.

Telle était, en 1800, à l’époque de l’union, la pensée de Pitt, et le clergé catholique alors y consentait tout entier. L’étroit bigotisme de George III empêcha ce grand projet de se réaliser, et aujourd’hui, si l’on y revenait, c’est au sein du clergé catholique lui-même que se rencontrerait la plus vive résistance. Cependant il y a