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pieds poudreux et la sueur au front, ils marchent en avant, sans craindre les épines du chemin, pourvu que leurs idées germent et fructifient. Les autres, au contraire, abdiquant toute initiative, satisfaits du bien présent, désireux de repos, timides amans d’une douce et facile popularité, n’aspirent qu’à cultiver avec honneur l’héritage dont le passé les a rendus dépositaires. Esprits accommodans pour la plupart, volontiers purs et honnêtes dans une suffisante limite, ils ne sauraient concevoir ni sympathie profonde, ni colère démesurée, et laissent aux ames ardentes tous les soins amers comme tous les triomphes périlleux de l’apostolat. Les premiers, sans contredit, serviront plus spécialement à caractériser notre génération dans les jugemens de l’avenir ; ils en représenteront davantage le côté propre et essentiellement actif. Un jour on sera frappé avant tout, j’imagine, de cette perpétuelle agitation et de cette mêlée furieuse où se sont ruées à l’envi les plus grandes intelligences du siècle ; on suivra d’un œil curieux et surpris le sillage aventureux de nos Colombs littéraires, cherchant un monde à travers des mers inconnues. Mais pourtant apparaîtront aussi çà et là quelques-unes de ces figures peu mobiles, médiocrement inquiètes, qui jamais n’adoptent l’imprévu pour Dieu, et qui semblent vouloir compenser par leur équilibre solitaire l’ébranlement général d’une époque.

Parmi les écrivains de nos jours qui rarement ont cédé à la pente commune, il en est un surtout qu’on devra distinguer, autant peut-être par la juste limite de ses facultés que par le résultat constamment heureux de ses entreprises. Soit allure naturelle d’inspiration, soit crainte d’un mouvement qui l’eût trop emporté hors de lui-même, il a mieux aimé résister au torrent, et se maintenir dans une voie hors d’atteinte, que de courir à ses risques tous les hasards d’une carrière aventureuse où sans cesse on côtoie l’abîme. Des qualités moyennes heureusement assorties et se balançant pour ainsi dire, un cœur modéré, un talent spirituel, un goût réfléchi, une imagination facile, le rendaient particulièrement propre à ce rôle mitigé, à cet éclectisme littéraire, qui ont été son patrimoine originel et sont devenus sa conquête de plus en plus agrandie. Et, chose bien singulière sans doute, ce poète, avant tout remarquable par sa persévérante mesure, devait fournir l’exemple d’un génie secondaire enchaînant plus sûrement la foule assemblée que les maîtres souverains de l’intelligence.

La destinée poétique de M. Casimir Delavigne n’embarrassera guère, je pense, les biographes et critiques futurs ; elle n’est point, que je sache, fertile en incidens curieux, en péripéties imprévues. Chez lui,