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L’IRLANDE SOCIALE, POLITIQUE ET RELIGIEUSE.

pulation a donc été un bien, parce qu’il n’a fait que suivre les progrès de la richesse ; de l’autre, il a été un mal, parce qu’il les a devancés.

M. de Beaumont ne paraît pourtant pas croire qu’en Irlande la population soit trop forte, et voici les principaux argumens qu’il apporte à l’appui de son opinion. L’Irlande, dit-il, est une contrée d’une rare fertilité, et qui, bien cultivée, pourrait nourrir vingt-cinq millions d’habitans. Si huit millions y vivent misérablement, c’est qu’avant de demander au sol ce qu’il leur faut pour exister, les Irlandais ont d’abord à y prendre ce qu’il leur faut pour payer des fermages exorbitans. La population diminuant, il y aurait bien dans le premier moment quelque amélioration ; mais dès que les propriétaires s’en apercevraient, ils augmenteraient proportionnellement leurs fermages. Donc, au bout de peu de temps, les pauvres Irlandais retomberaient précisément dans la même situation.

Je vais prendre ces objections une à une, et tâcher de prouver à M. de Beaumont lui-même qu’elles ne sont pas fondées.

Qu’il me permette d’abord de mettre en doute cette excessive fertilité de l’Irlande qui lui permettrait de nourrir vingt-cinq millions d’habitans. Il y a en Irlande, je le sais, quatre à cinq millions d’acres de terre qui n’ont point encore été mis en culture, et qui, moyennant de grands travaux d’assainissement et de défrichement, pourraient finir peut-être par donner de belles récoltes. Mais outre que ce résultat devrait être chèrement acheté, il est une circonstance qu’il ne faut pas oublier : c’est que, selon M. de Beaumont lui-même, la même étendue de terrain peut nourrir en pâturage une personne, en blé cinq ou six, et vingt en pommes de terre. Tout le terrain qui est aujourd’hui cultivé en pommes de terre ne nourrirait donc qu’une population moindre, si cette population, ainsi que M. de Beaumont le désire, mangeait un peu de pain et de viande. Il est vrai que l’Irlande exporte du blé, et que ce blé, dans ce cas, serait consommé dans le pays. En supposant même qu’il ne sortît plus d’Irlande un grain de blé, ce ne sont pas cinq cent mille quarters de froment environ et quinze cent mille quarters d’avoine qui ajouteraient sensiblement aux ressources alimentaires du pays. J’incline donc à penser que M. de Beaumont exagère la fertilité de l’Irlande ; j’ajoute qu’il pourrait avoir raison sur ce point sans que la question fît un pas. Il y a, on le sait, quelques terres qui produisent presque d’elles-mêmes ; mais quand cette première fécondité est épuisée, il faut, on le sait aussi, employer beaucoup de travail et de capital pour obtenir un nouveau produit. Peu importe donc ce que la terre d’Irlande ou