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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/36

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REVUE DES DEUX MONDES.

Je ne fais qu’indiquer cette idée ; mais plus j’y pense, plus je reste convaincu que, sans un sacrifice considérable de la part de l’Angleterre, l’Irlande ne se relèvera pas. À l’aide de ce sacrifice, de vastes terres pourraient être divisées par parcelles et vendues à bas prix, de manière à créer en peu de temps l’esprit et les habitudes de la propriété, là où cet esprit et ces habitudes manquent si complètement. Les terrains incultes en même temps seraient mis en culture, et les marais desséchés. De grands ateliers enfin s’ouvriraient et détourneraient de l’agriculture une partie de la population. — Si l’on attend tout cela du cours naturel des choses, on attendra vainement.

Il est bien évident, d’ailleurs, que si, à mesure que des capitaux étrangers viennent créer en Irlande de nouveaux moyens de subsistance, la population continue à s’accroître dans une proportion égale ou supérieure, il n’y aura rien de changé. Il faut donc que les Irlandais apprennent que leur sort est entre leurs mains, et qu’ils sont maîtres, par leur imprévoyance, de rendre impuissantes toutes les mesures qu’on prendrait en leur faveur. Aujourd’hui, dans beaucoup de comtés, l’âge moyen du mariage est de quinze à seize ans pour les femmes, de dix-huit à vingt ans pour les hommes, et ces tristes unions se contractent sans souci du lendemain, sans pitié pour les enfans auxquels on donnera la vie. C’est ainsi qu’en dix ans, de 1821 à 1831, la population du Connaught a augmenté de vingt-deux pour cent. C’est presque la proportion des États-Unis américains où pour si long-temps encore, ce seront, à l’inverse de nos vieilles sociétés, les hommes qui manqueront à la terre. À une telle progression, si elle devait durer, il n’y aurait rien à opposer, et l’Irlande serait fatalement condamnée à la souffrance et à la pauvreté. Mais l’exemple de l’Irlande elle-même est là pour prouver que l’extrême imprévoyance suit l’extrême misère. De tous les témoignages recueillis dans l’enquête, il résulte clairement que les mariages précoces ont pour cause principale le manque d’emploi et la paresse. Ceux qui ont quelque chose craignent de perdre leur aisance, et sont plus disposés à attendre. Aussi, par une déplorable anomalie, la population croît-elle bien plus rapidement dans les comtés pauvres que dans les comtés riches, dans le Connaught que dans l’Ulster. Ne doit-on pas en conclure que si les pauvres Irlandais pouvaient concevoir l’espérance d’une condition meilleure, cette espérance les élèverait aux idées de prudence qui leur sont si complètement étrangères aujourd’hui ? Quoi qu’il en soit, c’est là un des côtés importans de la question, un de ceux qui appellent le plus l’attention des moralistes et des hommes d’état.

Ce que je viens de dire suffit, je crois, pour faire connaître mon