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REVUE DES DEUX MONDES.

§ V.

Au moment de la retraite du ministère du 12 mai, trois personnes, trois partis, se présentaient naturellement pour recueillir cette succession vacante. D’où vient qu’elle est tombée dans les mains de M. Thiers ? M. Thiers nous l’a dit lui-même, et nous l’avons entendu dans la séance du 24 mars, nous dérouler le tableau des impossibilités et la série des refus qui l’obligèrent à former lui-même un cabinet. Tout fut tenté, même la modification du ministère du 12 mai ; le maréchal Soult refusa la présidence du conseil pour ne pas reprendre le ministère de la guerre. M. de Broglie, déterminé par des raisons toutes personnelles et de famille, déclina l’honneur que lui faisait M. Thiers en lui offrant de prendre le portefeuille de l’intérieur dans le cabinet où le noble pair aurait exercé la présidence du conseil et tenu en ses mains le portefeuille des affaires étrangères ; et M. Molé, qui se connaît en questions d’opportunité, ferma l’oreille à toutes les suggestions qu’on lui faisait pour essayer, sans M. Thiers, d’une combinaison semblable à celle du 15 avril. Pour M. Guizot, déjà rendu à son poste, il n’eut d’autre pensée que celle de se montrer dévoué, là comme ailleurs, aux intérêts de son pays, en déclarant que loin d’aspirer au ministère, il était prêt à recevoir les instructions de M. Thiers comme président du conseil et ministre dirigeant la politique extérieure.

La nécessité ou la force des choses, comme on voudra l’appeler, a donc remis le pouvoir dans les mains de M. Thiers. Est-ce à dire que le pouvoir soit tombé dans les mains de la gauche, et M. de Broglie qui a puissamment contribué à fonder ce ministère, M. Guizot qui a consenti à lui prêter le concours de ses lumières, M. de Rémusat, M. Jaubert, qui y figurent, sont-ils de la gauche, et ont-ils pactisé avec elle, comme on veut bien supposer que M. Thiers le fait ou est à la veille de le faire ? Nous voyons bien une certaine portion de la gauche demander des destitutions, sommer le ministère de songer à lui donner la réforme électorale, déclarer qu’elle a vaincu et qu’il lui faut des otages ; mais c’est le langage naturel à cette fraction de la gauche, et si elle le tient aujourd’hui comme hier, nous ne voyons pas encore là matière à nous alarmer. Ce qui nous importe à nous, c’est le langage du gouvernement, et nous ne voyons pas qu’il fasse plus mal