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d’épilogue, une pièce intitulée : Le Suicide et les Pèlerins, qui n’est qu’une mise en vers du dernier chapitre en prose de d’Olban. Comme talent d’écrire (bien que Ramond en ait montré dans ses autres ouvrages), il n’y a pas de comparaison à faire entre le Peintre de Saltzbourg et le roman alsacien ; mais c’est le même fond de sentimentalité.

Les Essais d’un jeune Barde sont dédiés par Nodier à Nicolas Bonneville ; c’est à lui surtout, à ses âpres et sauvages, mais fières et vigoureuses traductions, comme il les appelle, qu’il avait dû d’être initié au théâtre allemand. Bonneville avait débuté jeune par des poésies originales où l’on remarque de la verve ; ensuite il s’était livré au travail de traducteur. Vers 1786, en tête d’un Choix de petits romans imités de l’allemand, il avait mis pour son compte une préface où il pousse le cri famélique et orgueilleux des génies méconnus. Il n’y manque pas l’exemple de Chatterton qu’il raconte et étale avec vigueur. Il est l’un des premiers qui aient commencé d’entonner cette lugubre et emphatique complainte qui n’a fait que grossir depuis et dont l’opiniâtre refrain revient à dire : Admire-moi, ou je me tue ! La révolution le dispersa violemment hors de la littérature[1]. Voilà bien quelques-uns des précurseurs parmi cette génération werthérienne d’avant 89, dont fut encore Granville aussi décousu, plus malheureux que Bonneville, et qui semble lui disputer un pan de ce manteau superbe et quelque peu troué qui se déchira tout-à-fait entre ses mains. Granville, auteur du dernier Homme, poème en prose dont Nodier s’est fait depuis l’éditeur, et que M. Creusé de Lesser a rimé, Granville, atteint comme Gilbert d’une fièvre chaude, se noya le 1er février 1805 à Amiens, dans le canal de la Somme qui coulait au pied de son jardin.

Je demande pardon de remuer de si tristes frénésies ; mais il le faut, puisque c’est de la généalogie littéraire. Remarquez que le secret du malheur de ces écrivains tourmentés est en grande partie dans la disproportion de l’effort avec le talent. Car de talent, à proprement parler, c’est-à-dire de pouvoir créateur, de faculté expressive, de mise en œuvre heureuse, ils n’en avaient que peu ; ils n’ont laissé que des lambeaux aussi déchirés que leur vie, des canevas informes que les imaginations enthousiastes ont eu besoin de revêtir de couleurs complaisantes, de leurs propres couleurs à elles, pour les admirer.

  1. Voir sur Bonneville le portrait qu’en trace Nodier dans les Prisons de Paris sous le Consulat, chap. I, et la noteVIII du dernier Banquet des Girondins.