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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/47

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LES MISSISSIPIENS.

LA MARQUISE.

Oh ! c’est qu’alors vous étiez charmant !

LE DUC, lui baisant la main.

Et vous adorable ! (lui offrant du tabac) il y a quarante ans !

LA MARQUISE, prenant du tabac avec beaucoup de grâce et de propreté.

Tâchez de ne pas séduire ma fille, entendez-vous, vieux libertin ?

LE DUC.

Je tâcherai, au contraire ! Pourtant je crains d’avoir aujourd’hui un rival redoutable dans la personne du philosophe.

LA MARQUISE.

Quel philosophe ?

LE DUC.

Vous savez bien que c’est aujourd’hui que le fameux George Freeman fait son entrée ici.

LA MARQUISE.

Qu est-ce donc que ce fameux George Freeman ? Est-ce encore un de ces grands hommes du jour dont personne n’a jamais entendu parler ? Je ne suis pas initiée à sa célébrité.

LE DUC.

Eh bien ! vous ne serez pas fâchée de l’être. Ce n’est pas un charlatan comme tous vos Mississipiens.

LA MARQUISE.

Qu’appelez-vous Mississipiens ? J’entends parler de cela depuis quelques jours sans y rien comprendre.

LE DUC.

Ah çà ! vous ne savez donc rien au monde ? Vous savez au moins que votre gendre est un des principaux agens de la grande affaire du Mississipi ?

LA MARQUISE.

Je sais fort bien qu’il est dans la nouvelle société en commandite qui se charge de fouiller dans le Mississipi, et d’en retirer de l’or en barres ; mais je n’avais jamais ouï dire auparavant que l’or se trouvât de la sorte, et qu’il n’y eût qu’à se baisser pour en prendre.

LE DUC.

Il paraît cependant que nous allons en avoir à jeter par les fenêtres. Il y a, dit-on, des mines d’or à la Louisiane. On ne les a pas encore trouvées, mais Law assure qu’on les trouvera ; et, en attendant, on en met le produit en actions, et on spécule sur les profits de l’affaire pour payer les dépenses.

LA MARQUISE.

Et si on ne trouve rien ?

LE DUC.

Les actionnaires seront ruinés, et on tâchera d’inventer quelque autre chose pour les consoler.