Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/489

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
485
SITUATION FINANCIÈRE DE LA FRANCE.

de la nation. Un temps viendra, et plus tôt qu’on ne le soupçonne, un temps viendra où les mystères du crédit seront vulgarisés, où chacun saura que l’argent empilé dans les coffres d’une banque y acquiert l’élasticité de la vapeur condensée dans une machine, où l’on saura qu’une société d’actionnaires, maîtres de suspendre ou de précipiter la circulation, est un pouvoir de fait qui règne et gouverne ; et alors, on trouvera absurde que le premier venu puisse aller, bourse en main, acheter au cours du jour une portion de royauté. Mais demander aujourd’hui des changemens de nature à heurter des intérêts consacrés, ce serait compromettre les améliorations les plus urgentes. Il est juste d’ailleurs de reconnaître que la Banque de France a usé du pouvoir qui lui est départi avec une sagesse et une modération fort rassurantes. La rigueur de principes, qu’on lui a tant reprochée, lui donne, selon nous, l’aplomb nécessaire pour servir de base à un système complet et libéral. Le renouvellement de sa charte doit donc être accordé. Nous croyons toutefois que le terme de vingt-cinq ans est beaucoup trop long, et qu’en fait de monopole, il est téméraire d’engager l’avenir. Il nous semble encore de toute justice que l’état n’abandonne pas sans réserve à quelques individus un droit qu’il pourrait exploiter dans l’intérêt commun ; que, par exemple, au lieu d’une modique patente de 10,000 francs, il se ménage une part proportionnelle dans les bénéfices, ou du moins une somme de services publics qui, sans être fort onéreuse pour la Banque, réduirait de beaucoup les frais énormes de trésorerie[1].

Quant aux banques secondaires, si le but politique et moral que nous avons indiqué avait rallié les suffrages, l’organisation ne serait plus qu’une affaire administrative. Si un groupe formé par l’attraction mutuelle des intérêts ou par l’affinité des industries demandait une autorisation pour l’établissement d’un comptoir spécial[2], le gouvernement aurait à stipuler les garanties nécessaires à la sécurité publique et à constituer un agent de surveillance dont les pouvoirs fussent analogues à ceux du gouverneur royal de la Banque de France. Après la réalisation certaine et complète du fonds de réserve, les actionnaires choisiraient entre eux un conseil d’escompte qui, pouvant apprécier et la moralité personnelle des emprunteurs et la portée de leurs entreprises, ne se prononcerait qu’avec parfaite connaissance de cause et éloignerait les chances de pertes autant qu’il est raisonnable de l’espérer dans les opérations de ce genre. En échange des billets admis à l’escompte, la banque spéciale donnerait des mandats à deux ou trois jours de vue ou même à présentation. Il est vraisemblable qu’on ne se presserait pas de présenter au remboursement le papier d’une banque qui travaillerait au grand jour et dont les ressources et la gestion seraient parfaitement connues, et que la circulation des mandats s’établi-

  1. 2,730,000 francs sont demandés par le budget de 1841 pour les frais de transport et d’emballage de fonds, pour les commissions, courtages, etc. Ces dépenses doivent disparaître à mesure que les banques étendront leurs ramifications.
  2. Supposons, par exemple, la réunion des professions qui se rapportent aux arts typographiques, librairie, papeterie, imprimerie, reliure, estampes, etc.