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Il est inutile de dire que la Villageoise de Vallecas se termine, comme toutes les comédies de Tirso, par un mariage qui vient, en réparant l’honneur de l’héroïne, récompenser son courage et son adresse. Cette pièce nous suggère quelques réflexions applicables d’ailleurs à presque tous les ouvrages du poète. Il est évident que Tirso n’avait pas le sentiment de ce qu’il y a de dégradant, de pénible, dans la situation de Violante, courant comme une aventurière après l’homme qui l’a séduite, et qui, au moment même ou il se voit en quelque sorte contraint de l’épouser, dissimule assez mal le regret qu’il éprouve de cette nécessité. Voulant, sans aucun doute, appeler l’intérêt sur cette jeune fille, s’il eût jugé une telle situation avec les idées qu’elle nous inspire, il se fût attaché à la dissimuler, à l’adoucir, au lieu d’en faire un sujet de plaisanteries empreintes parfois d’une licence vraiment grossière. Ce qui est remarquable aussi, c’est le caractère du héros qui, non content de trahir Violante, veut, sous un faux nom, à l’aide de la plus indigne supercherie, enlever Sérafine à l’époux qui lui est destiné. Don Vicente n’en est pas moins représenté comme un modèle de franchise, de loyauté et de bravoure. On voit que dans sa conviction, et par conséquent dans celle de Tirso, l’amour excuse suffisamment les déceptions les plus odieuses dont il est le mobile. C’est, au surplus, la morale que professent à peu près indistinctement les poètes dramatiques de l’Espagne, et Lope, Calderon, Moreto eux-mêmes prêtent sans scrupule à ces amans si chevaleresques, à ces amantes si délicates, si exaltées, qu’ils se plaisent à mettre sur la scène, des actes de perfidie et même de cruauté dont nous ne tolérerions pas le spectacle.

Il y a une autre comédie de Tirso, la Villageoise de la Sagra, qui ressemble singulièrement à la Villageoise de Vallecas, tant par la nature du sujet que par le genre d’esprit qu’il y a prodigué. Un de ses grands moyens de succès, un des ressorts qu’il emploie le plus habituellement, c’est le contraste de la naïveté rustique réunie à la finesse et à la grace de la coquetterie la plus exquise. Tantôt, comme dans les deux comédies dont nous venons de parler, ce contraste si piquant n’est qu’un artifice auquel a recours une jeune fille engagée dans une entreprise amoureuse qui la force à cacher son rang sous un humble déguisement. Tantôt, comme dans Marie Hernandez, la Galicienne, et dans plusieurs autres pièces, il s’agit véritablement d’une paysanne dont la passion et la jalousie exaltent ou développent l’esprit naturel. La répétition de ces combinaisons si peu variées et qui se ressemblent tellement lorsqu’elles ne sont pas complètement identiques, n’eût fourni à un poète ordinaire que des effets d’une fatigante monotonie. Tirso, en homme de génie, a su se reproduire continuellement sans se copier. Chacune des scènes où il fait figurer ces villageoises vraies ou prétendues se distingue par la variété non moins que par la grâce incomparable des saillies originales et des reparties inattendues qu’il y a semées à pleines mains.

C’est à un autre genre de mérite que Don Gil aux chausses vertes doit la popularité extrême dont il jouit sur le théâtre de Madrid. L’intrigue de cette comédie, l’une des plus invraisemblables de l’auteur, et ce n’est pas peu dire,