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Les lettres de Chamisso, datées des latitudes les plus diverses, de Ténériffe, du Chili, de la Californie, de Manille, sont touchantes par la préoccupation constante de ses amitiés, qui le suit sous toutes les constellations du ciel.

La muse ne s’endormait pas en lui sur les mers. Au contraire, les grands spectacles de la nature, l’isolement habituel sur l’Océan, le vide même et l’ennui des longues traversées, favorables à la méditation et aux rêveries, toute une vie entre les flots et le ciel, loin de la terre, parmi les brumes, achevèrent de mûrir l’inspiration dans cette ame errante. Sur le détroit de Behring, Chamisso composait des vers qui semblent se balancer tristement comme des vagues : « La vie, la mort, m’ont dépouillé, mes années se détachent de moi et tombent ; ma tête s’incline plus profondément ; marchant comme en rêve, je pose mon bâton toujours plus loin, et je m’avance chancelant, plus las que beaucoup ne le croient ; je m’avance vers mon but, mon tombeau. »

L’odyssée du poète est terminée. Revenu en 1818, il commença à recueillir en 1819 le fruit de ses longues études et de son long voyage. Il fut nommé docteur honoraire près l’université de Berlin, membre de la Société des curieux de la nature, et custode du Jardin Botanique. Enfin sa situation se fixait ; il pouvait réaliser le projet qu’il formait depuis long-temps, celui de se marier, d’avoir des enfans, une famille. Chamisso parle souvent de ce désir dans ses lettres ; il citait volontiers ce vers de Goethe :

Weiter bringt es kein mensch stellt er sich wie auch er will.

« Nul homme, comme qu’il s’y prenne, ne saurait aller au-delà. »

La mélancolie de Chamisso s’évanouit comme par enchantement au contact de son bonheur. La poésie, qui lui avait inspiré de si sombres accens au temps de sa vie solitaire et voyageuse, ne lui suggérait plus que des chants d’amour et l’expression lyrique d’une joie tantôt recueillie, tantôt éperdue.

Tandis qu’il faisait des vers pour sa jeune femme et qu’il mettait en ordre les herbiers du museum de Berlin, Chamisso ne se souvenait probablement guère de sa qualité d’émigré français. La loi d’indemnité vint la lui rappeler assez agréablement. Il s’agissait d’une somme de 100,000 francs à réclamer. Il fit le voyage de Paris, où il fut très bien accueilli de nos savans, et où il fut doublement heureux, en sa qualité d’Allemand et en sa qualité de Français, de voir Marie