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il triomphait. Quelque temps après, ayant vu près d’Hambourg le pavillon tricolore, il poussa un cri de joie. Confondant ses deux patries dans la généreuse illusion de ses espérances, il voyait déjà la Prusse, alliée de la France, grandir en Allemagne par suite de cette révolution, dont le caractère humain le transportait. Du reste, il jugea avec un bon sens qui ne le quitte jamais lorsqu’il parle des affaires de la France, les difficultés de la nouvelle situation. Dès le 18 août, il écrivait à son ami Delafoye une lettre remarquable et à quelques égards prophétique.

Ce moment marque dans la carrière de Chamisso le point culminant au-delà duquel il n’y a plus qu’à descendre. Quand on a triomphé des obstacles et des traverses de la vie, quand on a obtenu la position qu’on ambitionnait, quand la gloire vous arrive, quand on a une femme et des enfans, des amis qui vous chérissent, on serait heureux… mais alors il faut mourir !

Depuis la grippe qui régna à Berlin en 1831, la santé de Chamisso fut sensiblement altérée ; il devint sujet à une toux fréquente, résultat d’une maladie de poitrine qui devait le conduire au tombeau.

Sa considération s’accroissait toujours. En 1835, il fut nommé membre de l’académie des sciences de Berlin, sur la proposition de M. de Humboldt, dont le glorieux dévouement aux sciences est égalé par le vif intérêt qu’il porte à tous ceux qui les cultivent. Les succès du poète allaient de pair avec ceux du naturaliste. Ce fut alors que le prince royal de Prusse écrivit une lettre affectueuse à Chamisso, pour le remercier de ses œuvres, qu’il venait de publier en quatre volumes, et qui furent accueillies du public avec une bienveillance empressée. Mais les faveurs du public, des princes et des académies arrivaient un peu tard ; celui qui en était l’objet n’était pas destiné à en jouir long-temps.

La femme de Chamisso, qui était tombée malade vers le même temps que lui, mourut. Une sœur de la défunte se chargea, à sa place, des soins de la famille, et sert encore de mère à sept enfans aujourd’hui doublement orphelins. Dans les quinze mois qui s’écoulèrent entre la perte de sa femme et sa propre mort, Chamisso ne ralentit rien de son activité scientifique et littéraire. Il travaillait en même temps à deux ouvrages bien différens, et qui montrent quelle fut jusqu’au bout la variété de son talent et de son intelligence. Il publiait une grammaire de la langue hovaï, parlée dans quelques îles de la mer du sud, et, en société avec M. de Gaudy, il traduisait, ou plutôt, comme il l’a dit lui-même, il germanisait les chansons de Béran-