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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/681

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MARIE D’ÉNAMBUC.

avec un morne désespoir des biens dont il avait espéré jouir encore long-temps.

— Je voudrais voir revenir le docteur, dit Mme d’Énambuc en tournant la tête vers le chemin de Saint-Pierre ; il m’avait promis d’être de retour avant la nuit.

— Je n’ai pas besoin de lui, je vous assure, mon enfant, dit le général avec un sourire triste ; ne vous inquiétez pas de ce retard ; allez, le remède le plus sûr à mon mal, c’est le repos absolu que nous avons ici, c’est la solitude où vous vous êtes enfermée avec moi. Là-bas, il y avait trop de monde autour de nous, trop de gens qui m’obsédaient de leurs soins intéressés. Quand on souffre, on n’est bien que seul avec ceux qu’on aime.

À ces mots, il tourna son visage vers la brise salée qui soufflait du large, et, respirant profondément, il reprit avec une espèce de frisson : — Mon Dieu, Marie, qu’il fait bon, ici ! c’est comme une soirée de printemps en France ; j’ai presque froid.

— Le printemps de France ! répéta la jeune femme avec un long soupir : voilà six ans passés que vous m’avez amenée ici, mais je ne l’ai pas oublié. N’est-ce pas qu’un jour, quand les affaires du pays seront tranquilles, nous ferons un voyage en France, et que j’irai encore cueillir des violettes dans le bois de Vincennes ?

— Enfant ! murmura le général en passant sa main pâle et amaigrie sur la belle tête blonde qui se penchait vers lui ; oui, un jour vous retournerez en France, bientôt peut-être, hélas !…

— Oh ! mon ami, que dites-vous ! s’écria-t-elle avec effroi ; mon Dieu, quelles pensées vous viennent aujourd’hui ! Vous êtes mieux, vous êtes bien, le docteur l’a dit.

Les larmes qu’elle retenait avec effort lui coupèrent la parole, elle s’appuya en sanglotant sur l’épaule du malade et murmura : — Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi parlez-vous ainsi ? vous êtes dans la force de l’âge, ce mal affreux passera ; vous avez encore long-temps, bien long-temps à vivre avec votre Marie.

— Oui, oui, mon enfant, dit le général d’une voix brisée, je le sais bien ; mais que voulez-vous ? il y a six mois que ce mal dure, ces longues souffrances m’ont abattu ; parfois je manque de patience et de courage, et puis les affaires du pays m’inquiètent ; Dieu sait comment elles vont depuis que je ne m’en occupe plus ! Qui sait comment Gorcelas gouverne à ma place !

— C’est un homme de tête ; vous l’avez choisi vous-même, et jusqu’ici il ne s’est élevé aucune plainte.