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REVUE DES DEUX MONDES.

— Vous avez vu ma sœur, ma chère Louise ! s’écria Marie ; c’est elle-même qui vous a remis ces lettres !

À ces mots, sa voix s’altéra ; le souvenir de son pays, de sa famille, se mêla dans son ame à tout ce qu’elle avait déjà de trouble et d’attendrissement ; elle ne put retenir ses pleurs.

Maubray la regardait avec une sombre joie ; il semblait recueillir dans son cœur ces larmes silencieuses.

— Marie ! murmura-t-il, si bas qu’elle devina ce nom sur ses lèvres plutôt qu’elle ne l’entendit. Alors, saisie d’un secret remords, elle recula son siége de manière à toucher le fauteuil du général et appuya sa main froide et tremblante sur celle du malade.

— Madame, reprit Maubray, dans quelques momens je vais partir, et bientôt je serai à Saint-Domingue, d’où probablement je ne reviendrai plus, car vous savez la guerre que nous font là-bas les Espagnols.

En ce moment le général se réveilla comme en sursaut et dit en regardant autour de lui :

— Eh bien ! Marie, ne devions-nous pas avoir des violons ce soir ? Il me semble que vous m’aviez promis une sérénade. Cette musique pourra divertir un moment M. de Maubray, auquel je demande bien pardon d’être de si maussade compagnie.

Mme d’Énambuc fit signe à un esclave qui se tenait à la porte de la salle ; un moment après, les violons commencèrent à jouer sous les fenêtres. Alors le docteur et Loinvilliers se rapprochèrent ; la musique servit de prétexte pour se dispenser de la conversation que personne, excepté le docteur, n’aurait soutenue sans efforts. Marie, immobile et debout à côté du général, écoutait sans entendre ; il lui semblait que le temps passait avec une effroyable rapidité, et pourtant chaque minute lui pesait pendant cette visite qu’elle désirait et tremblait de voir finir. À chaque mouvement de Maubray, elle tressaillait intérieurement, car elle sentait que l’heure s’écoulait et qu’il allait partir.

La musique continuait toujours ; après avoir exécuté plusieurs morceaux, les violons jouèrent un air de danse fort à la mode du temps où les frondeurs avaient chassé de Paris le cardinal Mazarin. Marie frissonna en entendant la première mesure de cette joyeuse sarabande ; elle lui rappelait une époque unique dans sa vie, son premier pas dans le monde, une fête où elle parut quelque temps avant son mariage. Sans doute ce souvenir frappa aussi M. de Maubray, car il mit une main sur sa poitrine comme un homme qui souffre de quel-