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dont on commence à se dégoûter d’une manière effrayante, de faire défense à qui que ce soit de garder entre ses mains une somme d’or ou d’argent excédant cinq cents livres, sous peine de la Bastille.

JULIE.

Cela est bon à savoir. Que ferez-vous des quatre-vingt mille livres que vous avez reçues tantôt ?

BOURSET.

Je les ai déjà échangées contre du papier.

JULIE.

Vous avez fait là une grande sottise. Comment, avec votre habileté, ne voyez-vous pas que ce papier est une grande friponnerie, et va nous ruiner tous ? personne n’en veut déjà plus, l’ignorez-vous ?

BOURSET.

Julie ! vous vous êtes embarquée sur une mer orageuse le jour où vous avez épousé Samuel et sa fortune. Si c’est une bonne affaire que vous avez faite, il faut en profiter ; si c’est une sottise, il faut la boire. (Il sort.)


Scène IV.


JULIE, seule.

Oh ! je l’ai bu tous les jours de ma vie, ce calice amer ! et ce bonheur que par une odieuse ironie le monde feint de m’envier, est un poison qui me dévore ! Ô tortures de l’orgueil brisé ! soif de vengeance qu’une lâche terreur enchaîne ! je finirai par t’assouvir ! C’est trop souffrir, c’est trop sacrifier à la fausse gloire d’un semblant de bonheur et de vertu ! Je veux une fois dans ma vie connaître l’ivresse des passions, et me venger, dans l’ombre et le mystère, des outrages que je reçois dans le secret de ma vie domestique. George ! tu m’aimes, je n’en puis douter ! Par une intention bizarre de la destinée, tu ressembles au premier, au seul homme que j’aie osé aimer ! C’est toi qui vengeras le chevalier ! Puisque c’est la seule représaille que la femme puisse exercer contre la tyrannie de l’homme, j’en goûterai le plaisir terrible ! George Freeman, je veux t’aimer ! et il me semble que je t’aime déjà !

UN DOMESTIQUE, annonçant.

M. George Freeman.

JULIE, à part.

Ah ! Dieu le veut.


Scène v.


JULIE, GEORGE, ils se saluent avec cérémonie.
JULIE.

Vous êtes bien rare depuis quelque temps, monsieur, mais il serait peu gracieux de vous faire des reproches, quand vous nous revenez. Il faut vous savoir gré du peu que vous faites pour vos amis.