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qui promette de plus heureux résultats que celle des institutions de l’Armorique. En effet, c’est dans ce coin de terre que se sont conservées les traditions, les lois, la langue même des anciens Gaulois. La nationalité celtique s’est maintenue dans l’Armorique malgré la domination romaine, malgré la conquête barbare, malgré les étreintes puissantes de la féodalité ; telle est l’énergie de cette race qu’aujourd’hui même elle persiste au milieu de la civilisation qui l’enveloppe et la pénètre de toutes parts, et qu’elle défend encore pied à pied son langage, dernier trésor des races qui s’éteignent.

Constater cette persistance de la nationalité celtique, la suivre au milieu de toutes les transformations politiques qui ont changé la face de la France, intéresser le lecteur à l’histoire de cette race comme à la biographie d’un seul homme, telle est la noble tâche que s’est proposée M. de Courson, et qu’il a remplie avec un soin pieux et filial qui justifie la devise de son livre : Sparsa… matris collige membra tuæ.

Ce qui nous reste de traditions antérieures à la conquête romaine nous montre les Gaulois en général et les Armoricains en particulier dans un état de civilisation analogue à celui des Germains tel que le décrit Tacite. Le sol partagé par tribus ou clans, les nobles environnés de vassaux nommés par César soldurii et mactierns dans la langue du pays ; troupe dévouée qui tient à déshonneur de survivre au chef auquel elle a consacré sa vie ; ces chefs indépendans les uns des autres, et ne s’unissant que pour la guerre sous un général (penteyrn) librement élu, tel était le gouvernement de l’Armorique, si l’on en croit César. Une telle ressemblance avec l’organisation des Germains suppose, dans les deux races, une parenté des plus étroites et qui demande à être étudiée de plus près qu’on n’a fait jusqu’à ce jour. Cette parenté nous explique comment, tout en repoussant la domination des conquérans germains, l’Armorique parut se prêter aux formes nouvelles de la conquête. Il n’y eut rien de changé dans les usages celtiques qui s’étaient maintenus sous la domination romaine et qui reparurent alors avec un redoublement d’énergie. Le clan breton, c’était, sous un autre nom, le canton germain, comme le plou (plebs en latin) était la marche. La condition des personnes ne se prêtant pas moins que la condition du sol aux dénominations germaines, le mactiern fut souvent désigné par l’appellation de fidèle ou de cassus dominicus ; mais souvent aussi il conserva son nom breton comme pour nous révéler la persistance des institutions celtiques. Ce nom de mactiern, M. de Courson l’a retrouvé dans les cartulaires jusqu’au XIe siècle.

La féodalité eut, dans l’Armorique, une physionomie toute particulière. Le clan, par un développement naturel, devint le fief, et le chef du clan se nomma baron ou vicomte ; mais cette transformation ne fut en quelque sorte que nominale, et le fief breton ne ressemble que de loin au fief germain. Les rapports du vassal et du seigneur conservèrent le caractère patriarcal des relations qui unissaient le chef de clan à ses fidèles ; aussi n’y eut-il point, contre le baron, cette haine profonde qui, en d’autres provinces, s’éveille encore dans les cœurs au seul nom de féodalité.