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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/770

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REVUE DES DEUX MONDES.

frissonnant le bruit rauque de la mer, dont les profonds abîmes l’avaient sans doute englouti. Le père Du Tertre était à l’autel ; les assistans suivaient la messe avec un silencieux recueillement ; le docteur Janson lui-même, les deux genoux en terre, priait sans distraction. Marie resta prosternée pendant toute la messe ; au dernier évangile, elle se releva, et, dans ce mouvement, son regard se tourna machinalement vers la muraille blanche sur laquelle ressortaient de grandes lettres récemment tracées avec un charbon. Ces lettres formaient un mot presque illisible, mais que Marie devina ; car son livre d’heures s’échappa de ses mains, et elle retomba à genoux, tremblante, éperdue, le cœur saisi d’étonnement, de doute et presque d’effroi : c’était le nom de Maubray qu’elle venait de lire sur la muraille. Ses regards demeurèrent fixés sur ces lettres inégales et qu’une main mal assurée semblait avoir écrites dans l’obscurité. Comment ce nom, ignoré de tous ceux qui vivaient autour d’elle, se trouvait-il écrit là ? Pourquoi l’avait-on mis sous ses yeux en un pareil moment ? était-ce un avertissement, un reproche ? Son esprit se perdait en conjectures. Elle eut sur-le-champ la pensée qu’un des engagés pouvait seul avoir écrit ce mot dont la vue remplissait son ame de perplexité, de soudaines espérances et de mortelles craintes. Mais pourquoi ce mystère ? pourquoi, si le sort de Maubray était connu de l’un de ces malheureux, n’en avait-elle pas été instruite ? Comment n’avait-on pas essayé de pénétrer jusqu’à elle pour le lui apprendre ?

Tandis que Marie, immobile et perdue dans ses émotions et ses pensées, demeurait à genoux, le visage tourné vers la muraille, M. de Loinvilliers, pâle et agité, regardait du même côté avec une singulière expression d’étonnement et de rage. Lui aussi avait lu ce nom. Un moment après, il sortit ; la messe était finie. Mme d’Énambuc resta encore un quart d’heure dans la chapelle pour se recueillir et songer aux moyens d’apprendre la vérité, de savoir par quel inconcevable hasard ce nom, toujours présent à sa pensée, s’était tout à coup trouvé sous ses yeux. Quand elle se retira avec sa suite, elle trouva dehors M. de Loinvilliers ; il était entouré d’une partie de ses gens et leur parlait de ce ton bref et impérieux qui faisait trembler tout le monde.

— Ricio, dit-il en s’adressant à une espèce de géant asturien que ses camarades avaient surnommé saint Christophe, va-t-en sur-le-champ chez tous les habitans dont les engagés ont passé la nuit dans la chapelle, et commande-leur de ma part d’envoyer ici tous ces