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MARIE D’ÉNAMBUC.

en se rejetant en arrière et en se couvrant le visage de ses mains… un homme blessé… mort peut-être… On l’apporte ici… En ce moment Ricio entra tout en désordre.

— Mon père, dit-il, hâtez-vous de venir, monsieur le comte est blessé… D’un moment à l’autre, il peut rendre son ame à Dieu… Venez le confesser.

— Il va mourir, s’écria Mme d’Énambuc saisie d’horreur, il va mourir ? Qui donc l’a tué ?

— C’est l’engagé, le prisonnier, celui qui devait être pendu demain, répondit Ricio.

Un peu après, le docteur arriva ; il trouva Mme d’Énambuc agenouillée et priant Dieu.

— Loinvilliers est mort ? s’écria-t-elle.

— Pas encore, madame, répondit le médecin ; il a un coup d’épée dans la poitrine, mais on revient parfois de ces blessures-là.

VI.

En effet, le docteur ne s’était point trompé dans ses prévisions ; le comte guérit de cette blessure qui, au premier aspect, avait semblé mortelle. Aussitôt après son duel avec Maubray, on l’avait, selon son expresse volonté et au risque de le voir expirer pendant le trajet, transporté dans son habitation. Le lendemain même de l’évènement, il envoya sa démission à Mme d’Énambuc, qui l’accepta. Ceci eut un grand retentissement dans la colonie. Des gens qui étaient hostiles à Loinvilliers, qui le haïssaient même pour la hauteur inflexible de son caractère, se rapprochèrent de lui ; les colons lui savaient gré d’avoir défendu leurs droits, et, sans examiner le fond de la question, ils blâmaient hautement Mme d’Énambuc d’avoir sauvé du dernier supplice un engagé qui avait tué son maître en défendant sa propre vie. Une sourde fermentation régnait dans l’île ; tout était à craindre. Pourtant Marie était tranquille. Que lui importaient maintenant la vengeance du comte de Loinvilliers, les complots qui se tramaient peut-être, et les dangers imminens dont elle était environnée ? Maubray était là, elle ne craignait plus rien. Quand elle le voyait si fier, si courageux, si calme, si dévoué, elle retrouvait la sécurité qu’elle avait eue autrefois, lorsqu’elle vivait puissante et respectée à l’abri de la souveraine autorité du général.