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MARIE D’ÉNAMBUC.

que ces mots : « Il faut nous quitter, Henry ! vous vous résignerez à cet affreux malheur, car il y va de ma sûreté, de ma vie peut-être ; le père Du Tertre vous expliquera tout… Au nom du ciel, au nom de notre amour, partez ! c’est votre femme qui vous en prie à genoux. Je vous confie ce que j’ai de plus cher au monde, mon fils… Un devoir sacré me retient, je ne puis abandonner pour vous suivre les grands intérêts remis à ma garde. Je dois compte au roi et à l’héritier du général d’Énambuc de ma conduite ici ; mais j’espère, j’attends le moment qui me délivrera de cette responsabilité terrible. Le père Du Tertre va porter mes supplications au roi. Henry, j’irai te retrouver ; j’en fais la promesse devant Dieu, je te serai rendue ! »

Le Saint-Malo était mouillé à quelques encablures du rivage, sous les fenêtres du fort ; des embarcations allaient et venaient incessamment pour les préparatifs de ce départ précipité. Maubray était à bord depuis deux heures quand il reçut la lettre de sa femme ; déjà le docteur Janson lui avait fait pressentir son malheur, il était comme un homme hors de sens quand le père Du Tertre arriva. Le moine avait une longue expérience des souffrances humaines, il connaissait l’art de les calmer, et il sut inspirer à Maubray le courage de se soumettre à cette séparation. Marie passa le reste de la journée et toute la nuit assise près de la fenêtre, et les yeux tournés vers le navire qui allait emporter tout ce qui lui était cher au monde. Un peu avant l’aube, le père Du Tertre vint avec une suite nombreuse chercher le jeune d’Énambuc. La malheureuse mère tenait son enfant endormi sur ses genoux ; elle l’embrassa silencieusement, et le remit au moine en disant avec cette sombre tranquillité qui est la plus haute expression des douleurs violentes :

— Priez Dieu pour moi, mon père, et dites à Maubray que nous nous reverrons.

Plusieurs heures après, Marie était encore devant la fenêtre, agenouillée, immobile et les yeux fixés sur la mer. Son regard suivait une voile qui s’effaçait de moment en moment et qui disparut enfin dans la ligne indécise où les eaux bleues se confondaient avec le tranquille azur des cieux. Lorsqu’elle n’aperçut plus rien que l’espace immense et vide, elle étendit les bras en s’écriant, l’ame saisie d’un pressentiment funeste : Les reverrai-je, mon Dieu ? Puis elle se releva brusquement et murmura, en regardant autour d’elle avec une sorte de terreur : À présent, je suis seule !

Le docteur et Palida étaient près d’elle, ils l’emmenèrent ; comme elle traversait la salle d’audience, Loinvilliers entra. En revoyant