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à la longue le rendre monotone et fatiguer la curiosité ; les amateurs assurent pourtant que c’est cela même qui fait tout le succès de ce personnage. C’est une vieille connaissance, ils n’osent dire un ami, qu’ils se plaisent à voir aux prises avec la bonne et la mauvaise fortune, et dont ils suivent les actions avec un intérêt tout autre que celui de la curiosité. Placez un inconnu dans les mêmes situations, cet intérêt n’existe plus. On a attribué le goût du peuple napolitain pour ce personnage à d’autres causes encore, par exemple à une similitude de passions, d’intérêts et de sympathies, qui, à la longue, produisait l’affinité. Sans doute il signore Pulcinella n’est pas né pour rien dans le voisinage du Vésuve, et entre lui et les citadins de la ville où il a élu domicile, les points de rapport et les traits de ressemblance sont nombreux. Son esprit est vif comme le leur, son imagination mobile ; il aime la bonne chère, et sait jeûner s’il le faut ; il ne distingue pas fort nettement le bien d’autrui du sien. Pulcinella n’est pas néanmoins une personnification comme Meo Patacca et Cassandrino. Le peuple napolitain n’a ni son courage ni sa méchanceté ; il est insolent et se laisse bâtonner, ce que Pulcinella ne souffre jamais. Le Napolitain parle toujours de crucifier son ennemi, et cependant il a bon cœur ; Pulcinella, lui, vous couperait un homme en morceaux sans sourciller : l’un est plus énergique, l’autre est meilleur.

Le Largo del Castello et les places voisines sont bordées de nombreux théâtres qui ont chacun leur Pulcinella ; mais c’est au théâtre San-Carlino que de préférence Polichinelle a élu domicile, c’est là que soir et matin il est le héros d’aventures bouffonnes et merveilleuses. En effet, quoique le Polichinelle de San-Carlino ne soit pas de bois, il ne se repose jamais, et quand on a annoncé, pour le matin et pour le soir, quelque nouvelle pièce, giocosissima in tutte le sue scene, ricca di bizarri avenimenti… con Pulcinella, Pulcinella doit être sous les armes et gambader mort ou vivant. Voulez-vous avoir une idée de ces pièces, divertissantes d’un bout à l’autre et riches d’évènemens bizarres, pièces qui ne doivent cependant leur succès qu’à Pulcinella ? Nous allons en analyser quelques-unes, choisissant de préférence celles qui font le mieux connaître le peuple napolitain. Le scenario de celle de ces pièces qui avait le plus de succès lors de notre séjour à Naples, a été emprunté sans façon à une petite comédie de Cozenza, Il pazzo a forza, le fou par force. Cette pièce méritait sa vogue, d’abord parce qu’elle ne manquait ni de vivacité ni de nerf comique, parce qu’ensuite elle dénonçait un crime de lèse-humanité et renfermait une haute moralité ; nous allons dire comment.