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menée. Les chanteurs, en Allemagne, sont doués d’une intelligence musicale qui vous étonne, d’un instinct merveilleux pour saisir en un instant la volonté du maître et pénétrer dans son esprit, ce qui ne les empêche pas d’avoir dans l’occasion des voix fort belles, et dont on pourrait citer le timbre sonore et la puissance de bon aloi. N’oublions pas que le premier ténor qu’il y ait après Rubini chante à Carlsruhe pour le grand-duc de Bade. Dernièrement, il s’agissait de mettre à l’Opéra le Freyschütz de Weber, et l’on dut presque aussitôt renoncer à cette idée, tout simplement parce qu’on s’aperçut qu’il n’y avait là personne pour chanter la partie de Max. Eh bien ! ce rôle pour lequel Duprez n’est pas de taille, Haitzinger, depuis dix ans, le chante sans se fatiguer, et trouve encore moyen de suffire à toutes les partitions du répertoire italien et français, c’est-à-dire que le ténor de Carlsruhe chante la Sonnanbula, le Pirate, la Muette, Robert-le-Diable, en même temps que Freyschütz, Oberon et Fidelio. La musique de Weber surtout, il n’y a qu’en Allemagne que les chanteurs en comprennent l’esprit. Ces gens-là, avec des voix souvent médiocres, des talens du troisième ordre, qu’on ne supporterait pas dans l’Ambassadrice ou le Pré-aux-Clercs, vous font tressaillir dans le Freyschütz, et cela par la seule force du sentiment qui les anime, et de la tradition qu’ils possèdent ; car il y a une tradition pour la musique de Weber, comme pour les comédies de Molière, avec cette différence pourtant que la tradition française ne sort pas des écoles et s’acquiert par l’étude et la persévérance, tandis que l’autre est dans l’ame et se trouve partout en Allemagne, dans les cascades du Rhin, sur les montagnes du Harz, dans les échos mystérieux des forêts de Thuringe ou de Bohême. Partout, même dans les plus petites villes, vous rencontrez des chœurs et des orchestres ; et telle est la puissance de cet instinct dont nous parlons, de cette volonté musicale, qu’avec des ressources bien moindres que celles dont nos premiers théâtres disposent, on atteint aux plus grands effets.

La cantatrice de Brunswick qui chante Valentine, possède une voix de soprano aiguë, et pourvue en même temps de cordes graves qui dans le duo avec Marcel, au troisième acte, rappellent les belles notes de Mlle Falcon. Du reste, c’est une chose assez commune en Allemagne de rencontrer des voix de soprano remarquables dans Robert-le-Diable et les Huguenots. Il est vrai que M. Meyerbeer ne néglige rien pour qu’il en soit ainsi, et ne s’épargne ni les soins, ni les voyages. Après Freyschütz, Oberon, Euryanthe et Fidelio, c’est incontestablement Robert-le-Diable et les Huguenots, qu’on exécute le mieux partout. Peut-être faut-il ajouter à la raison que nous donnions un certain air de famille que la musique de M. Meyerbeer emprunte à l’inspiration de Weber, et qui fait qu’on trouve sans peine des Alice et des Valentine au pays d’Agathe et d’Euryanthe. C’est l’usage, en Allemagne, lorsque le musicien est présent, qu’il dirige lui-même l’orchestre : le duc de Brunswick a témoigné à M. Meyerbeer le désir qu’il aurait de le voir présider à la fête, et le maître s’est résigné de bon cœur à tenir le bâton. Jamais aussi on n’avait vu enthousiasme pareil ; ce fut d’un bout à l’autre une exécution à