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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/37

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LE BRIGANDAGE DANS LES ÉTATS ROMAINS.

étaient à la mode, et un Anglais se garderait bien de traiter si lestement un homme à la mode. Cette conduite des étrangers à leur égard, qu’ils pouvaient regarder comme une sorte d’approbation de leur vie passée, devait donner à ces bandits une singulière idée de la loi qui les condamnait. Barbone sentait son importance ; il avait agi, lors de son abdication, d’une façon théâtrale. La copie du traité, approuvée et ratifiée par le pape, lui ayant été remise, il avait envoyé en échange au saint père sa carabine, son poignard, les insignes de son autorité, et s’était rendu seul, sans armes, à travers la foule rassemblée sur son passage, à son logis du château Saint-Ange. Sa femme avait quitté, comme lui, la montagne, et faisait son ménage dans sa nouvelle demeure. Son extérieur était, à peu de chose près, aussi sauvage que celui de son mari ; néanmoins celui-ci disait galamment qu’il était redevable de sa conversion à deux dames, la Vierge et sa femme. — Barbone et les hommes de sa bande, auxquels, du reste, on avait fait de scandaleux avantages, ayant observé fidèlement les conditions de la capitulation, le gouvernement, de son côté, n’eut garde de les violer.

À quelque temps de là, dans une autre affaire, le cardinal Gonsalvi, auquel on reprochait ses traités avec les brigands, voulut prouver qu’il savait unir la fermeté aux moyens de douceur, et ne se montra pas si scrupuleux. L’autorité avait conclu un nouvel accord avec une bande qui s’était formée des débris de celles de Barbone, de Dieci-Nove et autres ; les amnistiés ayant manqué à quelques-unes des conditions les plus insignifiantes du traité, le cardinal les convia à un nouveau rendez-vous, sous prétexte d’entrer en explication sur ces clauses litigieuses. Quand ils furent rassemblés, et tandis qu’on délibérait, des hommes armés sortirent des caves, où on les avait fait entrer de nuit, entourèrent la maison, et, à un signal donné par un des prêtres chargés de la négociation, massacrèrent tous ces bandits jusqu’au dernier. Cet exemple, renouvelé de l’histoire de César Borghia[1], fit plus pour la pacification des montagnes que les moyens de douceur et de transaction précédemment employés. À la vue des quarante-cinq têtes de bandits qui bordaient la route de Rome à Naples par San-Germano, et des membres écartelés qui, comme autant de charniers, garnissaient chacun des carrefours du chemin, les survivans comprirent que le gouvernement était enfin décidé à sévir ; ils

  1. Voyez dans Machiavel la manière dont César Borghia se défait de Vitellozzo, Oliverotto, Pagolo Orsini et du duc de Gravina, ces condottieri qui le gênaient.