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DE LA DESTINÉE DES VILLES.

ville. De nos jours, Londres, Vienne, Saint-Pétersbourg, Paris, sont du même genre. Leur destinée dépend de la destinée des empires dont elles sont le centre. Que la France disparaisse du monde, comme ont disparu tant d’autres états, il n’y aura plus alors de cause pour que Paris soit une grande ville à moins que Paris ne devienne, comme Jérusalem ou comme Rome, une ville religieuse, car la religion fait vivre les villes en dépit des lieux.

Voyez en effet sur la carte la place qu’occupe Paris ; ce n’est pas un de ces lieux qui servent nécessairement de passage ou de rencontre au commerce des climats opposés ; ce n’est pas une des routes naturelles du monde. Il y a plus, Paris n’est pas même au centre de la France ; c’est une capitale qui pouvait être ailleurs et qui s’est trouvée là par hasard, pour ainsi dire. La vieille Lutèce n’avait pas certes prévu sa destinée de capitale d’un grand empire : non que le hasard qui a fait de Paris le centre politique de la France, n’ait pas lui-même ses causes dans l’histoire ; non que la position de Paris n’ait pas eu aussi ses effets politiques. Nous savons comment Paris est devenu peu à peu la capitale de la France ; nous savons aussi comment, ayant notre capitale voisine de nos frontières du nord, cela a fait que c’est toujours vers le nord que nous avons eu nos plus grandes guerres, parce que c’est surtout de ce côté que nous faisions effort pour nous étendre. Je dirai plus, je suis persuadé qu’une des choses qui ont le plus contribué à faire de la France un grand empire, c’est d’avoir eu sa capitale près de sa frontière du nord. Jetez en effet vos regards sur la configuration de la France : elle est fort bien limitée et défendue à l’ouest par la mer, au sud par les Pyrénées, à l’est par les Alpes et le Jura ; mais au nord elle est ouverte : là point de frontières naturelles, car les fleuves ne sont pas des frontières. Du côté du nord, la France pourrait être bornée par la Seine, aussi bien que par l’Oise, par l’Oise aussi bien que par la Somme ; supposez donc un instant que la capitale n’eût point été près de la frontière, supposez que cette capitale eût été à Orléans ou à Tours ; il est probable alors que la France eût reculé jusqu’aux bords de la Loire ou de la Seine. Paris au contraire étant le centre du gouvernement, il s’est trouvé fort heureusement que la frontière la plus ouverte a été aussi la mieux surveillée. Comme c’était de ce côté qu’étaient nos dangers, c’est de ce côté aussi qu’ont été nos efforts et nos conquêtes. Je ne crois pas que ce soit un mal pour un peuple d’avoir sa capitale près de ses ennemis, et d’être plus fort là où il est plus menacé. Ce n’est point un mal, disons-le, tant que le peuple garde sa force et sa viri-