Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/880

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
876
REVUE DES DEUX MONDES.

tière. Cette procession est une véritable trouvaille, d’autant plus que la salle s’en égaie chaque soir, grâce au sérieux tout grotesque des choristes ventrus qui l’exécutent, et la prend comme un prologue bouffe au début de ce lamentable mélodrame. La cantilène du novice racontant ses amours mystiques au prieur de Saint-Jacques voudrait de toutes ses forces avoir le succès de la romance de Guido ; elle vient bien tard, et le duo qui suit entre les mêmes personnages ressemble aux plus tristes duos qu’on ait jamais taillés sur la coupe italienne. — Reste, dit Balthazar dans un adagio monotone et vide — Non, s’écrie Fernand, je pars pour les combats. — La fanfare obligée éclate, et, comme il arrive toujours, un solo de trompette invite le jeune homme à s’en aller tenter les hasards de la fortune. Vous vous souvenez de cette jolie scène des baigneuses au second acte des Huguenots ? Quelle fraîcheur ! quelle grace ! quelle mélodie dans les voix ! quelle imitation heureuse dans l’orchestre ! Weber n’a jamais mieux rendu le frémissement des eaux sous les arbres. Eh bien ! voici la même action qui va se reproduire ; encore des jardins au bord du fleuve, encore de mystérieuses voluptés et des danseuses à demi nues ; mais cette fois, comme tout cela vous semble triste, abandonné, désert ! D’où vient le sentiment pénible qui vous afflige à ce spectacle ? est-ce de ce que vous voyez devant vous ces pauvres créatures souffreteuses qui frissonnent en chantant les amours et le printemps par une température de décembre :

Rayons dorés, tiède zéphire,
De fleurs parez ce séjour,
Heureux rivage qui respire
La paix, le plaisir et l’amour.

Ou n’est-ce pas plutôt de ce que toute inspiration manque ? S’il y avait là de la musique, si la verve du maître animait les scènes, on ne s’apercevrait de rien ; mais en l’absence de toute idée généreuse, de toute passion dramatique, je ne sais quel frisson vous gagne et vous fait prendre en compassion ces malheureuses filles qui posent leurs bras violets l’un sur l’autre, et, blêmes de froid, regardent de tous côtés si quelque poêle bienfaisant ne leur enverra pas de la coulisse une tiède bouffée de ce vent du sud qu’elles célèbrent en grelottant. La cavatine du roi, au second acte, se distingue moins par la nouveauté des idées que par la manière dont elle met en relief toutes les qualités du talent de Baroilhet. Sur ce point, on ne saurait lui donner trop d’éloges. L’adagio en la mineur, qui sert d’introduction à cet air, est large et d’un beau style. Baroilhet le dit avec une expression admirable : sa voix mordante et pathétique trouve là toute occasion de se déployer à son aise et dans ses avantages. L’allegro à quatre temps qui termine ce morceau, a de la chaleur et de l’éclat, et le chanteur l’enlève hardiment. C’est un mérite incontestable des maîtres italiens, de M. Donizetti surtout, qu’ils s’entendent mieux que personne au monde à disposer des registres d’une voix. Leur inspiration peut les trahir ; leur habileté dans l’art de traiter la partie vocale ne les aban-