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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/444

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REVUE DES DEUX MONDES.

les Anglais, je crois, débarquèrent une partie de leurs forces en 1810, afin de tomber sur Saint-Denis du haut des mornes. Du cap des Lataniers, on file sur le cap Bernard, muraille de rochers perpendiculaires trouée par le flot en cavernes profondes ; la mer y mugit comme sur les points les plus sauvages de la côte de Bretagne. Mais déjà on découvre la rade, les navires de guerre mouillés en tête de la ligne, les chaloupes de batelage qui portent du bord au quai les passagers et les marchandises, les ponts volans fixés sur pilotis à une vingtaine de toises dans la mer, abaissant au-dessus des barques les poulies qui enlèvent, aux cris des noirs, les sacs de riz, les caisses, les vaches et les mules. Cette ville, qu’on avait trouvée si petite en débarquant d’Europe ou des Indes, semble avoir grandi aux yeux de celui qui vient de faire le tour de l’île.

La situation de Saint-Denis est moins attrayante que celle de Saint-Paul ; cependant la petite capitale, couronnée de montagnes en amphithéâtre, se présente bien et rappelle un peu Valparaiso. La rivière, dont la source se cache aux environs de la plaine d’Afouge et de la plaine aux Chicots, au flanc d’un piton volcanique, arrive brusquement dans la vallée par un défilé d’une profondeur effrayante, qui va s’élargissant jusqu’à la mer ; sur la rive gauche se prolonge un ravin escarpé, couvert dans toute sa longueur de jardins où mûrissent peut-être les meilleurs fruits de la colonie. D’en bas, cette muraille basaltique, tapissée de verdure, incrustée de rampes et de chemins en pente douce, que bordent les agaves et les acacias, semble un gracieux parterre suspendu au sommet d’un rempart. D’en haut, l’œil plonge sur le ruisseau, sur ses bords bien ombragés, où des moulins se cachent au milieu des plus frais bosquets. La ville est assise entre une grève de sables fins, plantée d’arbres verts, et ce demi-cercle de montagnes, dont la base, près du Fort-Blanc, se revêt de bois touffus. La plaine des exercices et la poudrière se trouvent au-dessous de cette petite forêt, j’allais dire de ce mâqui, car c’est sous son ombre que j’ai lu Colomba[1]. Dans la ville, il n’y a pas d’édifice qui mérite d’être cité ; les rues de la partie marchande, coupées à angle droit, sont bordées, vers le centre, de boutiques, de magasins, tous européens, et se terminent par de jolies habitations d’un aspect moins uniforme ; la claire-voie, le barreau, s’ouvre sur des bosquets ; des allées tournantes conduisent au pavillon, souvent fait de planches, mais propre, aéré, bien adapté au climat. Parmi les productions des îles et des continens voisins, on

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes, livraison du 1er juillet 1840.