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derniers mots exigent quelques explications. J’avais été surpris, dès les premiers jours de mon arrivée, de voir partout un grand nombre de vaches et de ne rencontrer nulle part les traces peu agréables que ces animaux laissent d’ordinaire sur leur passage. Je reconnus bientôt que les résidus de la digestion de ces ruminans étaient soigneusement recueillis par les Bréhataines, qui les pétrissent avec de la paille hachée et se servent de ce mélange pour suppléer au bois qui leur manque. Pour le sécher, on en fait de grosses pelottes qu’on applique contre un mur ou un rocher de manière à ce qu’elles s’aplatissent et y restent adhérentes jusqu’au moment ou le soleil les détache en leur enlevant leur humidité. Souvent j’ai vu des maisons, d’ailleurs très bien tenues, revêtues de haut en bas de cette singulière tapisserie dont la présence aurait cadré beaucoup mieux avec les idées religieuses des Hindous qu’avec celles que nous avons en France relativement à la propreté. Au reste, on m’a assuré que le bois d’herbes donnait un feu clair et vif, exempt de fumée et de toute mauvaise odeur.

À côté des vrais enfans de l’île se trouve une population étrangère, véritable colonie isolée au milieu des insulaires. Centre important pour la surveillance des côtes, Bréhat sert de principal point de relâche aux cotres de la douane, et possède un nombreux détachement d’employés sans cesse en lutte de ruses et d’activité avec les contrebandiers. Appelé à jouer un rôle sérieux dans le cas d’une guerre maritime, elle renferme plusieurs fonctionnaires dépendans de l’administration de la guerre. Comme une véritable citadelle, Bréhat a son commandant de place, qui n’est qu’un simple sous-officier ; sa garnison, composée de dix-sept hommes en comptant le sergent et le caporal qui la commandent ; son sous-intendant, qui n’est rien moins que le maire lui-même ; son garde du génie, bon bourgeois qui veille au recrépissage des batteries de côte. Il ne règne pas grand accord entre ces petites autorités militaires, qui toutes ont des prétentions à la suprématie, et leurs querelles s’envenimeraient davantage sans l’esprit calme et pacificateur du garde d’artillerie, le seul dont les fonctions aient une importance réelle à cause du matériel assez considérable qui lui est confié.

Le climat de Bréhat est d’une douceur remarquable. Il y neige très rarement, et ce n’est que dans les années exceptionnelles que la terre conserve pendant quelques jours sa blanche parure d’hiver. Aussi trouve-t-on dans cette île plusieurs plantes généralement regardées comme l’apanage des climats méridionaux. Les myrtes, entre autres, viennent ici en pleine terre, acquièrent un développement considérable, et, déployés en espalier sur les façades des principales maisons, les