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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/909

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REVUE. — CHRONIQUE.

caractères faibles, et qui les contraindrait presque toujours, même contrairement aux inspirations de leur conscience, à ne pas quitter le gros du parti auquel ils appartiennent. Il faut bien moins de courage pour se lever un instant de sa place que pour passer dans un autre camp avec un grand éclat. Or il importe de mesurer les lois aux tempéramens et aux mœurs, et c’est ce que ne nous paraît pas avoir fait complètement l’honorable auteur de la proposition.

M. de Rémusat a développé son projet avec la mesure, l’habileté et l’élégance qui sont le caractère distinctif de son talent. Il était fort difficile de donner quelque intérêt à une question sur laquelle toutes les opinions sont arrêtées et tous les engagemens pris. Il était plus difficile encore de détourner la chambre de la pensée qu’en consacrant le principe des incompatibilités, elle hâterait nécessairement le terme d’une dissolution. C’est devant cette appréhension qu’elle a surtout reculé ; aussi, a-t-elle prononcé un ajournement plutôt qu’une décision sur le fond. Une autre préoccupation ne contribuait pas moins à troubler l’assemblée et à la détourner du débat même. Personne n’ignorait, et M. de Rémusat était trop loyal pour ne pas l’avouer, que le motif qui avait déterminé le dépôt de la proposition était le grave incident relatif à M. de Salvandy. On savait que l’ancien ambassadeur du roi à Turin mettrait une grande mesure dans ses paroles et qu’il n’abuserait contre personne des torts qu’on avait eus envers lui ; mais, en dehors de ces considérations personnelles, il fallait une explication catégorique, et la chambre avait besoin de savoir si le ministère revendiquerait le droit exorbitant de renvoyer à leur poste les fonctionnaires députés, dès qu’il le jugerait à propos dans l’intérêt de ses convenances parlementaires, et sans arguer des nécessités démontrées du service public. Là était le véritable point du débat, la vraie question constitutionnelle à poser. Ce qui s’était passé avant l’instant où M. de Salvandy s’est trouvé en communication directe avec un ministre responsable semblait devoir être écarté de la discussion, car cela ne tombait pas sous la légitime appréciation de la chambre. Toutefois, pour que le débat pût être ainsi circonscrit, une première chose était nécessaire : c’était que le cabinet l’acceptât à ses risques et périls sur le seul terrain où il pût constitutionnellement se porter. Circonscrire le champ de bataille, mais sans décliner la lutte ; écarter la responsabilité de la couronne en l’assumant soi-même tout entière : tel était le devoir du ministère, telle était aussi l’attente de la chambre, attente tristement déçue ! Devant une systématique persévérance à refuser toute explication, devant l’intention hautement énoncée de confondre la décision ministérielle avec l’acte antérieur attribué à la royauté, la question s’est trouvée bientôt engagée en dehors des limites constitutionnelles. Le ministère refusant toute explication, on s’est cru autorisé à remonter plus haut, et, au lieu d’un débat utile et régulier sur la manière dont il convient d’entendre le droit de présence, dans le sein du parlement, des fonctionnaires investis du mandat législatif, la France a assisté à un lutte qui a replacé le débat sur le terrain brûlant de 1839.