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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/973

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LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALIE.

qu’on les ait appréciés, les travaux du philosophe tyrolien n’en ont pas moins exercé une grande influence, et méritent à ce titre un examen approfondi.

II.

M. Rosmini voulait trouver le passage du monde matériel au monde spirituel : il écrivit l’Essai sur l’origine des Idées dans l’intention de concilier la psychologie sensualiste et la psychologie rationaliste[1]. À quelle condition, un disciple de Locke peut-il concilier ses idées avec le rationalisme ? À une seule, c’est-à-dire en détruisant à demi sa propre doctrine. En effet, si, comme Locke l’assure, tout se réduit à des sensations, le monde matériel n’est plus qu’un assemblage de sons, de couleurs, d’odeurs ; c’est une apparence sans substance, un rêve sans réalité. Quant au monde spirituel, puisqu’il échappe à nos sensations, le sensualiste doit le considérer comme une énigme insoluble ou le nier. C’est contre l’école de Locke que porte d’abord la critique de M. Rosmini, et sa première tâche est de démontrer que non-seulement le monde, mais la pensée elle-même est anéantie aussitôt qu’on prétend la réduire à la sensation. Qu’est-ce que la pensée ? C’est un jugement ; or, le jugement suppose un attribut, c’est-à-dire (Reid l’avait reconnu) une idée générale, et sans idées il est impossible que le jugement se produise. Les sensations ne se transformeront jamais en idées. Les idées n’admettent aucune limite, et les sensations sont limitées ; les idées s’appliquent à tous les individus possibles, et il n’y a rien de commun entre plusieurs sensations ; les idées impliquent l’idée de l’être, et les sensations sont comme si elles n’étaient pas. — On croit que les idées, continue M. Rosmini, nous viennent des sens, grace à l’intelligence qui analyse, abstrait, compare et généralise nos connaissances ; mais toute comparaison, toute abstraction, toute analyse suppose déjà cette connaissance, cette pensée dont on veut retrouver l’origine, et la pensée se fonde déjà sur la préexistence d’une idée. Obscure, mystérieuse, incompréhensible, incapable de s’affirmer, parce qu’elle n’a pas en elle-même l’existence, la sensation ne peut, ni par la parole, ni par une opération de l’entendement, devenir ce qu’elle n’est pas, une idée. Donc, si tout se réduit à la sensation, le jugement manque d’attribut, la pensée est impossible, et avec la pensée

  1. Voyez les Opuscules, vol. II, p. 493-507 et p. 497-498, note ; vol. i, p. 98 id., 233, id.