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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/1012

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REVUE DES DEUX MONDES.

louanges et des conseils pour Théron d’Agrigente et pour Arcésilas de Cyrène. Il serait donc puéril de demander à des influences locales l’origine ou les caractères d’une poésie dont l’essence est de n’offrir rien de local et d’avoir le monde grec tout entier pour théâtre et pour objet.

La Grèce offre d’autres harmonies plus réelles entre la nature et la poésie. Chez les Grecs, il y avait un rapport étroit entre les vers et la musique ; or, l’usage de la flûte en Béotie s’explique par l’abondance des roseaux qui croissent dans cette humide contrée, et l’Arcadie est la patrie de la lyre, parce qu’elle est la patrie de la tortue de terre, qu’Hermès, ce malicieux enfant, fit servir à former la première cithare. Des observations d’histoire naturelle ne sont donc pas indifférentes à l’histoire de la poésie grecque. Enfin je ne crois pas qu’il soit tout-à-fait inutile à l’intelligence de la muse antique d’avoir visité le Parnasse. Les Grecs avaient placé la demeure des muses, c’est-à-dire la source de l’inspiration poétique, aussi bien que la demeure des dieux, sur les hauts sommets, là où la terre semble toucher au ciel. Les muses habitaient l’Olympe, le mont Pierus, l’Hélicon, et surtout le Parnasse. Le Parnasse est une des plus belles montagnes de la Grèce ; sur ses cimes, couvertes de neige, marchaient dans leur pureté les muses chastes. Les sommets du Parnasse sont souvent enveloppés de nuages. Qui a vu Liakoura[1] sans voile ? dit lord Byron. Cette particularité convenait à la destination que la mythologie antique avait attribuée à la sainte montagne. La création poétique est un mystère, il lui sied de s’envelopper de mystérieux nuages.

Chez les Grecs, toutes les inspirations étaient sœurs ; le Parnasse consacrait l’alliance de l’enthousiasme poétique et de l’enthousiasme religieux. Tandis que les thyades y célébraient leurs danses qu’animaient les fureurs de Bacchus, la pythie, assise sur le trépied, aspirait les émanations fatidiques de la montagne. Apollon y avait son temple et son laurier, à la place duquel existe à cette heure un laurier, image de l’inspiration qui ne meurt pas. Les muses s’y baignaient dans la source de Castalie, qui coule encore, et dont l’eau remarquablement pure et légère est un charmant symbole de la limpide poésie des Grecs. Ingénieux à saisir les convenances naturelles des lieux avec les idées que devaient exprimer les fables attachées à ces lieux, les anciens avaient placé le temple d’Apollon au pied des roches à pic appelées les brillantes (phédriades), qui réfléchissent encore aujourd’hui

  1. Nom moderne d’une des cimes du Parnasse.