Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/1093

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1087
LA SUÈDE SOUS BERNADOTTE.

pas le suédois ; mais chaque jour on lui donnait des extraits traduits des différens journaux, et un article hostile à son gouvernement suffisait pour troubler toute sa sérénité. Un soir, je le trouvai assis sur son canapé, le regard étincelant de colère. « Regardez, me dit-il en me montrant une méchante feuille de Stockholm, sans talent et sans portée, qu’on appelle le Dagligt allehanda, voilà ce que je dois souffrir ! » Puis, relevant la tête avec une vive expression de douleur : « Quand j’étais en France, j’étais l’un des premiers parmi les seconds de la terre, et quand j’attendais dans les antichambres de l’empereur, je restais là avec des rois, des princes, et maintenant !… »

C’est à cette crainte de l’opposition, à cette timidité inconcevable dans un homme d’ailleurs si énergique, qu’il faut sans doute attribuer en grande partie la résistance que Charles-Jean a toujours apportée à tout projet de réforme décisif. L’administration du royaume de Suède est encore établie sur d’anciennes bases qui nécessitent de nombreux changemens. La diète nationale est encore composée, ainsi qu’autrefois, des quatre ordres de la noblesse, du clergé, des bourgeois et des paysans[1], et le vice radical et les inconvéniens continuels de ce mode de représentation ont été souvent signalés par la presse et par plusieurs des membres les plus éclairés de la diète. Au commencement de son règne, Charles-Jean dit que, comme étranger, il n’osait toucher aux anciennes institutions de la Suède ; plus tard, il répondait à ceux qui le pressaient d’entreprendre cette œuvre de réforme qu’il n’avait plus assez de temps devant lui, et qu’il laissait cette tâche à son fils. Heureusement pour le pays il la lui a laissée en effet, et le prince Oscar est parfaitement capable de la remplir. Arrivé en Suède à dix ans, et confié aux soins des maîtres les plus habiles, à l’âge où les impressions sont les plus vives et les plus profondes, le nouveau roi a appris à connaître, à aimer la Suède. C’est le pays auquel il doit tout, c’est sa véritable patrie. S’il nous appartient encore par la naissance, par quelques liens de famille, il appartient tout entier à la Suède par son éducation, par ses goûts, par la haute mission qu’il est appelé à remplir, et les espérances qui s’attachent à lui. Sa situation sous ce rapport est plus heureuse que celle de son père. Nul engagement ne

  1. On compte en Suède environ deux mille quatre cents familles nobles. Le chef de chacune de ces familles est de droit membre de la diète. Le clergé est représenté par les douze prélats du royaume et par quarante-huit députés ; la bourgeoisie, par les mandataires des quatre-vingt-cinq villes de Suède ; l’ordre des paysans, par cent quarante à cent cinquante députés. Les membres de la diète appartenant au clergé, à la bourgeoisie et à la classe des paysans reçoivent, pendant la durée de la session, une indemnité pécuniaire.