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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/128

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qu’à Liverpool, mais quatre ans de moins qu’à White-Chapel et six ans de moins que dans le Strand. Preston, cette manufacture modèle, sombre comme une mine de houille, voit s’accroître d’année en année le nombre de ses malfaiteurs. À Bolton, la police, en 1841, avait arrêté 2,583 personnes, proportion qui est exactement celle de Manchester. Dans la même ville, on compte 90 maisons de prostitution ; Leeds en renferme 175, et la petite cité de Rochdale, selon le témoignage du missionnaire Logan, réunit une centaine de prostituées du plus bas étage dans un seul district. Les excès de boisson n’y sont pas moins communs : Bolton compte 289 cabarets à bière ou à genièvre, Leeds 908, et Ashton 117 pour ses 20,000 habitans.

Je pourrais multiplier les exemples ; mais en voilà bien assez pour montrer que l’industrie urbaine, quelques proportions qu’elle affecte, étendue ou restreinte, qu’elle réunisse 300,000 hommes ou 30,000, se trouve placée dans des conditions tout aussi désavantageuses pour la moralité des ouvriers que pour leur santé. Il faut donc, avant toutes choses, frapper au plus épais de ces agrégations pour les éclaircir. La réforme doit s’attacher à diminuer le contact des ouvriers entre eux dans les manufactures, et à disséminer les manufactures qui se nuisent réciproquement par leur proximité. Les ateliers à sept étages rappellent les maisons élevées de l’ancienne Rome, que l’on comparait à des îles (insulæ), sans doute pour indiquer la nécessité d’isoler, d’environner d’air et d’espace, ces gigantesques bâtimens. Le travail est comme le blé, qui, lorsqu’on le sème à l’ombre des grands arbres, vient rare, grêle et manque de vigueur.

Dans l’ordre régulier des sociétés, les villes doivent servir de rendez-vous au commerce, à la richesse, aux lumières. C’est là que viennent s’accumuler ou s’échanger les produits de l’activité humaine ; mais ce n’est pas là que doit s’établir l’industrie qui a besoin, pour produire, d’un certain recueillement. Les villes furent d’abord des marchés, et leur destinée finale se fit clairement dans ce caractère originel. Aux villes appartiennent les entrepôts, les magasins, les comptoirs, les banques, les musées, les bibliothèques, les grandes écoles, les clubs, les académies, les arts mécaniques et libéraux ; leur lot est assez grand et assez beau sans y joindre l’industrie.

Dans l’origine de la manufacture, au moment où le travail du coton et par suite celui de la laine cessèrent d’être une occupation domestique, les filatures, cherchant des moteurs, s’établissaient le long des cours d’eau, et comme la force hydraulique est le résultat de la pente donnée au courant, les nouveaux ateliers gardaient forcément entre