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tenu en ce moment à m’acquitter envers M. Jeffrey des devoirs de l’hospitalité, je ne lui pardonnerais pas d’avoir, dans une note, laissé s’introduire le romancier de nos grisettes à côté de noms qui s’offenseraient à bon droit de ce voisinage. L’erreur peut-être n’est-elle que vénielle. M. Jeffrey, je suppose, n’aura jamais lu M. Paul de Kock ; il ne l’aura connu que par la réputation que les revues anglaises lui ont faite.

M. Jeffrey a trop le sentiment des plus charmantes élégances de l’esprit français, pour qu’il ne répugne pas en effet de lui imputer la responsabilité de cette faute. Je trouve ce sentiment dans un article sur la correspondance de Mme du Deffand, et dans un autre sur la correspondance de Grimm. M. Jeffrey y a rendu lui-même avec beaucoup de sagacité et de goût la physionomie de cette société du XVIIIe siècle, où les condescendances forcées d’une partie de la noblesse, la finesse des femmes et la culture des hommes de lettres étaient parvenues à donner de l’esprit même aux financiers, ces partisans tant méprisés par le siècle précédent, lequel les avait laissés à cet égard si pauvrement pourvus. Je suis moins content des pages consacrées à Mlle de Lespinasse : elles sont irréprochables au point de vue moral, mais j’aurais voulu une touche plus profonde et plus sensible dans l’étude de cette nature brûlée par la passion, venue, comme une fleur d’une autre saison et d’une autre latitude, au temps de Voltaire et à côté de la froide et caustique amie de Pont-de-Vesles. Dans la catégorie difficile à définir de ces analyses où le critique, auquel je laisserais alors de préférence le nom anglais de reviewer, résume tout le saillant, le piquant, l’instructif qu’il a extrait d’un livre, je citerai ses articles sur les Mémoires d’Alfieri, les Considérations sur la Révolution française, de Mme de Staël, les Mémoires de Mme de Larochejaquelein, ceux de la margrave de Bareith, la vie de Christophe Colomb, par Washington Irving, celle de William Penn, le Voyage de l’évêque Heber dans l’Inde, etc. C’est un genre dans lequel M. Jeffrey sait encore se faire remarquer par son habileté d’analyste, par son esprit de méthode et par le judicieux discernement qui préside au choix de ses citations.

Je ne puis laisser inaperçue la division que M. Jeffrey a consacrée à ses travaux philosophiques. La préoccupation de la philosophie le disputait d’abord en lui à la sollicitude des choses purement littéraires. Ses essais sur ces graves matières remontent aux premières années de la Revue d’Édimbourg. Les plus importans sont une discussion des principes de Bentham, et diverses appréciations sur l’école psychologique, qui avait à cette époque pour représentant cet esprit net et