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LES THÉÂTRES.

crifices et de grands efforts nationaux, mais aussi de prospérité intérieure, ce qui fait dire à un témoin que le retour de la paix a tari toutes les sources de la fortune publique en Angleterre.

Les dépenses qu’entraîne une exploitation théâtrale à Londres sont excessives. Pour les grands théâtres, l’énormité de leurs charges tient à un personnel trop considérable. Tandis qu’à Adelphi la troupe entière paraît tous les soirs, à Drury-Lane et à Covent-Garden un tiers à peine est employé dans chaque représentation. Le reste demeure oisif, et cependant, à peu d’exceptions près, les acteurs y sont toujours payés, soit qu’ils jouent ou se reposent. L’opéra ayant tout envahi, ces théâtres sont obligés d’entretenir deux troupes à la fois. Il en résulte que, quand un opéra ou une tragédie obtient un succès qui permet de le donner tous les soirs, la plus grande partie de la troupe devient un fardeau inutile et grève le budget de l’entreprise sans aucune compensation.

Le besoin de faire de grosses recettes condamne les grands théâtres à recourir à tous les expédiens propres à piquer la curiosité publique. Ils ne pourraient se soutenir, s’ils se bornaient à la tragédie et à la comédie ; ils donnent des pantomimes, des ballets, des pièces à spectacle, des farces ; les pantomimes ont principalement le privilége d’attirer la foule, surtout pendant les fêtes de Noël. Depuis la reconstruction de Covent-Garden en 1809 jusqu’en 1821, l’entreprise ne s’est pas libérée d’un shelling au moyen du drame légitime ; tous les bénéfices ont été obtenus par les pantomimes de Noël. On a converti les théâtres en ménageries. Au grand scandale des amis du théâtre national, des tigres et des lions ont été introduits à Drury-Lane et à Covent-Garden, et y ont obtenu un ignoble succès. Après les farces, les ouvrages les plus populaires sont ceux où le crime est représenté dans toute sa nudité. Les scènes de meurtre attirent et captivent le peuple. Le parterre, ordinairement bruyant, devient silencieux et recueilli dès que la lame d’un poignard brille à ses regards ; c’est le grand mérite de Macbeth, c’est la fortune du théâtre de Thurtill, qui représente incessamment les drames les plus sanglans. Il paraîtrait que tandis que les grands théâtres prostituaient leur scène pour rétablir leurs affaires, les représentations des entreprises secondaires prenaient un caractère plus élevé. Il y a trente ou quarante ans, on y donnait des pièces à peine supportables sur les tréteaux de la foire. Depuis, les auteurs se sont montrés plus scrupuleux, les directeurs plus sévères, et certains ouvrages ont obtenu assez de succès pour exciter l’envie des grands théâtres, qui s’en sont emparés et les ont joués concurremment.