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que l’exemple de nos pères et les écrits de nos plus illustres auteurs ont naturalisées au théâtre ; garantir les institutions et les pouvoirs publics sans soustraire aux jugemens du parterre les faiblesses de la vie politique ; faire avec discernement la part des temps, des lieux et des opinions, apprécier les convenances de chaque genre, étudier les besoins et les goûts de chaque public, éviter avec un soin égal la pruderie et la licence, la faiblesse et l’intolérance : tels sont les devoirs de la censure, et il suffit de les indiquer pour montrer combien ils exigent de tact, de sagesse et de prudence. Sans mettre en cause ceux qui exercent actuellement cette sorte de magistrature, sans dissimuler les difficultés de leur mission, on pourrait demander s’ils ne sont pas quelquefois trop indulgens pour les choses qui touchent à la morale, trop sévères pour celles qui ont trait à la politique. La scène doit jouir dans une juste mesure des libertés générales consacrées par nos institutions. S’il est vrai que le théâtre doive être le miroir du monde, la peinture de nos mœurs politiques ne saurait lui être interdite : on s’effraie trop de la moindre allusion, et nous ne sommes pas certains que Tartufe et le Mariage de Figaro fussent autorisés aujourd’hui, si la toute-puissance de Louis XIV et l’infatigable persistance de Beaumarchais ne les avaient point mis à l’abri du ciseau des censeurs.

Quant à l’organisation de la censure, elle nous satisfait. Le temps perfectionnera un instrument encore nouveau sous notre régime de liberté, et qui fonctionne au milieu des obstacles et des résistances. Une commission de quatre hommes droits, d’un esprit juste et éclairé, qui soulage la responsabilité du ministre et ne la déplace point, est préférable à un censeur unique, plus exposé à des attaques personnelles, et par conséquent plus dépendant des influences extérieures. On a souvent proposé de créer une juridiction élevée, composée d’hommes éminens dans les lettres, et dont tous les théâtres relèveraient. Cette proposition, selon nous, repose sur une idée fausse. Les censeurs ne sont point appelés à exercer une juridiction littéraire ; à d’autres, le jugement des questions d’art et de goût. À nos yeux, la censure doit représenter la portion saine du public. Se substituant, par anticipation, aux citoyens et aux pères de famille, elle assiste par la pensée à la représentation d’une pièce, recherche simplement et de bonne foi si aucun mot ne doit blesser des oreilles honnêtes, si le sujet ou les situations n’offenseront point des sentimens qui ont droit aux respects ; elle se décide ensuite selon les lumières de la conscience et les impressions du cœur.