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tions et à la Suisse, il ne se sent guère attiré, par ses tendances littéraires du moins, vers ses confédérés de race germanique, et les appelle les Allemands un peu dans le sens que les Italiens attachent au mot tedeschi.

Si on laisse de côté ces préventions des masses pour ne voir que leur instinct, n’est-il pas ici le plus vrai, le plus sûr ? La Suisse romane, étant assez en dehors du grand courant de l’esprit français, n’a-t-elle pas quelques efforts à faire pour se rattacher à celui-ci dans ce qu’il a de sain et d’essentiel ? N’est-ce pas là qu’elle trouve les élémens de vie qui lui sont propres ? Il y a plus : c’est avec le concours direct ou indirect de la France, aux temps de la guerre de Bourgogne, de la réforme, des refuges religieux et de la révolution, que l’Helvétie romane a été rapprochée de la Suisse, réunie à la confédération, changée, émancipée ; ce sont les idées et les tendances françaises qui lui assignent son rôle au milieu des cantons, qui font son originalité et sa force, qui, malgré son infériorité numérique, lui donnent une action marquée dans le maintien de l’équilibre fédéral[1], qui enfin lui apportent, pour tempérer ou modifier l’élément germain, un élément non moins essentiel à la nationalité helvétique. Plus cette partie de la Suisse conservera soigneusement les qualités propres et les traditions de l’esprit français, et mieux par conséquent elle servira sa propre cause et celle de la Suisse. Il lui serait bien impossible assurément de renier tout-à-fait ses origines et de se détacher de ce qui est son vrai centre intellectuel : elle y tient au contraire par mille liens de tous les jours, par la langue, la politique, l’industrie, les modes, le théâtre, la littérature ; mais, dans l’ordre des idées, il est à regretter peut-être que ces communications se fassent d’une manière abstraite et morte pour ainsi dire, par les livres, les journaux seulement, et si peu d’une manière vivante, c’est-à-dire par les hommes. C’est pourtant depuis que la race même, dans l’Helvétie romane, a été retrempée, modifiée par les réfugiés français et italiens de la réforme et de la révocation de l’édit de Nantes, c’est alors seulement que cette partie de la Suisse a pris un rang en Europe et toute son importance dans la confédération. L’Allemagne, soit dit en passant, n’en a jamais fait autant pour la Suisse allemande, où les anabaptistes du XVIe siècle n’apportèrent qu’inimitié et désordre, où nous avons vu également que les réfugiés politiques de notre époque ont tant de peine à s’acclimater.

Du reste, on se tromperait fort si l’on nous supposait l’intention de vouloir méconnaître les avantages et la nécessité de ces élémens germaniques introduits avec mesure dans les cantons suisses. Nous voulions signaler seulement ce que la prépondérance de l’Allemagne aurait de dangereux pour le caractère national. Il est difficile d’expliquer par la curiosité seulement l’attention soutenue que les Allemands donnent à la politique et à l’industrie, à l’histoire et à tout le mouvement littéraire et scientifique de ce pays. Que

  1. La diversité politique et religieuse, en dominant au besoin celles des races, a aussi dans cet équilibre un rôle essentiel.