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MOUVEMENT INTELLECTUEL DE LA SUISSE.

les négociations, les batailles de cette époque, où la nation suisse joue un moment le rôle de grande puissance belligérante, où, comme le remarque positivement Guichardin, « il était destiné que la défense ou la perte du Milanais se ferait seulement aux risques et aux dépens du sang des Suisses. » La bataille de Marignan elle-même, qui fut la bataille des géans du XVIe siècle, reste confuse et sans relief. M. Hottinger, de Zurich, qui vient après Robert Gloutz, a fait une étude complète, savante et animée, des commencemens de la réforme. C’est le prologue, un peu trop chargé, de celle-ci, plutôt que son histoire, ou, si l’on veut, c’est une histoire spéciale, celle de la révolution religieuse à Zurich et autour de Zwingli, plutôt qu’une des grandes divisions des annales suisses. À part ce défaut de proportion et considéré en soi, ce travail est fort distingué. Le sujet, quoique renfermé dans un petit nombre d’années, avait pourtant l’avantage de présenter deux ou trois grands faits bien saillans. M. Hottinger s’en est heureusement emparé. Le récit, entre autres, de la bataille de Pavie, le portrait d’Ulrich Zwingli, dont le même auteur a publié depuis une biographie populaire et détaillée, sont d’excellens morceaux d’histoire et des tableaux du plus vif intérêt. M. Hottinger est précisément un de ces Suisses dont nous parlions au début de ce travail, qui, Allemands de race, ne le sont point complètement par l’esprit. Il a la pensée nette et pratique, l’intelligence sereine, et l’on sent dans tous ses écrits comme un souffle généreux d’action et de patriotisme.

Après M. Hottinger, M. Vulliemin reprend la réforme avec la Suisse française, Genève et Calvin. Il poursuit cette histoire, à travers les situations qu’elle crée au dedans et au dehors, jusqu’à la guerre civile de 1712. Cette guerre fournit à J.-B. Rousseau l’occasion de faire une invective à la façon d’Horace : Où courez-vous, cruels ? et Montesquieu en vit fort bien les résultats, qui allaient à la ruine, et, comme il dit, à l’encontre du principe fédératif[1]. M. Monnard enfin s’est chargé de l’époque du XVIIIe siècle et de la révolution. Il terminera ce vaste travail, si honorable pour les auteurs qui s’y sont dévoués comme pour la petite nation qui peut fournir à l’histoire un champ si étendu et si rempli.

Les ouvrages de MM. Vulliemin et Monnard sont écrits en français : les deux historiens ont transporté dans cette langue les travaux de leurs prédécesseurs. L’ouvrage principal de M. Monnard n’a pas encore paru. En tête de la collection que cet ouvrage viendra compléter, et comme la meilleure des préfaces à un corps d’histoire de la Suisse, on a placé une vie de Muller. L’auteur de cette biographie, M. Monnard, nous a montré dans Muller l’homme et l’historien, mais non pas le personnage politique. Malgré cette lacune et quelques imperfections de détail, cette biographie a eu en Suisse un grand succès ; elle offre une lecture très attachante, et fait bien augurer des autres recherches de celui à qui on la doit. Pour raconter dignement les ames puissantes par le génie même qui les tourmente, il faut quelque chose

  1. Esprit des Lois, l. X, ch. VI.