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hommes. Vienne la guerre, et il faudra désarmer la première de ces escadres, tandis que la seconde est bonne en tout temps[1].

J’aurais pu étendre bien d’avantage ces considérations relatives à la marine à vapeur, mais je me borne à de simples aperçus, laissant à d’autres le soin de presser mes conclusions et d’en faire sortir tout ce qu’elles renferment. Je crois toutefois avoir démontré d’une manière suffisante qu’une flotte à vapeur est seule bonne aujourd’hui pour la guerre offensive et défensive, seule bonne pour protéger nos côtes ou agir contre celles de l’ennemi, et seconder efficacement les opérations de nos armées de terre. Il me reste maintenant à parler d’un autre moyen d’action que nous aurions à employer, au cas d’une guerre à soutenir contre l’Angleterre.

Sans avoir pris part aux longues luttes de la marine française contre la marine britannique dans les temps de la révolution et de l’empire, on peut en avoir étudié l’histoire et en avoir recueilli l’expérience. C’est un fait bien reconnu aujourd’hui que, si, pendant ces vingt années, la guerre d’escadre contre escadre nous a presque toujours été funeste, presque toujours aussi les croisières de nos corsaires ont été heureuses. Vers la fin de l’empire, des divisions de frégates, sorties de nos ports avec mission d’écumer la mer sans se compromettre inutilement contre un ennemi supérieur en nombre, ont infligé au commerce anglais des pertes considérables. Or, toucher à ce commerce, c’est toucher au principe vital de l’Angleterre, c’est la frapper au cœur.

Jusqu’à l’époque dont je viens de parler, nos coups n’avaient point porté là, et nous avions laissé l’esprit de spéculation britannique accroître par la guerre ses prodigieux bénéfices. La leçon ne doit pas être perdue aujourd’hui pour nous, et nous devons nous mettre en état, au premier coup de canon qui serait tiré, d’agir assez puissamment contre le commerce anglais pour ébranler sa confiance. Or ce but, la France l’atteindra en établissant sur tous les points du globe des croisières habilement distribuées. Dans la Manche et la Méditerranée, ce rôle pourra être confié très bien à des navires à vapeur. Ceux qui font l’office de paquebots pendant la paix feraient, par leur grande vitesse, d’excellens corsaires en temps de guerre. Ils pourraient atteindre un navire marchand, le piller, le brûler, et échapper aux navires à vapeur de guerre eux-mêmes, dont la marche serait retardée par leur lourde construction.

  1. Voir annexes.