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par force. Il leur aurait fallu entreprendre un siége, et comme la ville est près de la mer, des secours seraient venus de l’Inde avant qu’il fût fini. Toutes ces innovations, un établissement militaire complet, un résident plus fort que le gouverneur, une résidence plus forte que la ville, avaient surgi au milieu d’une paix de trente ans non interrompue, sans traité, sans qu’il fût même officiellement reconnu par son propre gouvernement… » Voilà comment on prend une ville en temps de paix, sans canon, sans bruit, sans récriminations de la part des puissances rivales et du pays lésé.

Lorsque l’arrivée d’une ambassade française à Téhéran donna quelque ombrage à la compagnie des Indes, elle se hâta, pour mieux défendre les abords de ses possessions, de conclure un de ces traités dont elle interprète les clauses à sa guise, selon que l’occasion se présente. La compagnie s’obligea donc « à protéger le commerce persan et à entretenir à cet effet une croisière dans le golfe. » À l’escadre, il fallait un ancrage ; il s’en offrait un à Bassadour : les Anglais y eurent bientôt hissé ce pavillon connu pour ne disparaître jamais des lieux qu’il a couverts même comme par hasard. La Russie s’empressa de dénoncer ces empiètemens à Fath-Ali-Schah, qui somma les Anglais de se retirer ; « mais ceux-ci avaient fait porter l’ordre du roi par un de leurs amis qui peut-être ne le transmit pas, et qui, dans tous les cas, vint dire qu’on avait obéi, ce qui n’était pas vrai. On s’arrangea, pour éviter de tels désagrémens à l’avenir, de manière à tenir de l’iman de Mascate le droit de résidence. L’iman afferma au schah le littoral et les îles persanes, et laissa aux Anglais la faculté de s’établir, » c’est-à-dire le droit de juger les différends entre les vassaux de la Perse ou de la Porte, de leur accorder ou de leur refuser ce qu’ils ne devraient demander qu’à leur souverain. Est-ce vraiment au nom de la civilisation et de l’humanité que l’Angleterre s’arroge de telles prérogatives dans ces lointaines contrées ? Ces faits expliquent la prépondérance sur la côte d’Arabie de cet iman qui est moins que soumis, mais plus que protégé par la compagnie. Sur tous les points que nous venons d’indiquer, l’influence anglaise se fait donc perpétuellement sentir ; l’entrée des deux golfes appartient à la nation britannique, qui ne rencontre là aucune puissance rivale ; il semble que cette partie de l’Asie lui ait été abandonnée par l’Europe pour y faire ce que bon lui semble. C’est comme un petit monde à part qu’elle se charge de diriger.

En sortant de Bouchir, il faut prendre des pilotes pour l’entrée de l’Euphrate à la petite île de Carrak. Ce point commande militairement