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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/849

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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

Sans doute il y a dans Uhland plus d’une pièce qui semble aussi appartenir à cette direction ; le poète qui a chanté le bon vieux droit avec tant d’amour, le doux chanteur qui a réveillé dans l’esprit de son peuple tous les bons instincts, qui y a entretenu comme une défense le souvenir des anciennes vertus, ce poète peut être nommé parmi ceux qui ont essayé de créer une poésie politique. Toutefois, chez Uhland, cette poésie n’existe pas encore, et de ce fonds d’idées plus général, M. Grün, le premier, a fait sortir la vive et libre audace qui tente aujourd’hui tant de jeunes écrivains. On a remarqué que Béranger étudiait beaucoup La Fontaine ; on a dit qu’il était facile de retrouver dans son style et dans sa pensée maintes traces de la fine et franche tradition gauloise. Eh bien ! le rapport qui existe entre le chantre du roi d’Yvetot et la muse insouciante et hardie qui osait écrire, sous Louis XIV :

Notre ennemi c’est notre maître,
Je vous le dis en bon français ;

ce même rapport est celui qui, toute proportion gardée, unit M. Grün à Uhland. Je tiens à établir nettement cette idée : si M. Anastasius Grün a conservé, selon moi, une supériorité incontestable sur ses jeunes et ardens successeurs, c’est en grande partie à cette position littéraire qu’il en est redevable. Cette filiation poétique, ces relations avec l’école d’Uhland et de Justin Kerner, l’ont préservé de bien des écarts. En conduisant sa muse dans les routes périlleuses, il a pris soin que ses pieds ne fussent pas déchirés par les ronces et qu’elle gardât toujours son chaste vêtement. Peut-être même a-t-il poussé trop loin la tendresse de ses scrupules ; il a redoublé d’attention et de vigilance, il a surveillé sa pensée et son langage avec une pudeur inquiète, tant il apercevait les périls de la carrière où il s’engageait ! On lui a reproché, et avec raison, une certaine afféterie, un soin trop minutieux des parures de la muse ; mais la langue souvent un peu grossière de ses successeurs est venue justifier ses craintes et absoudre ses fautes. Une grande chasteté d’idéal, un respect religieux de la forme, n’étaient pas un grand mal pour celui qui ouvrait une route où les erreurs contraires sont si fréquentes. M. Grün prenait ses précautions avec une louable intention d’artiste. J’oserais le comparer à l’auteur de Stello pour ce soin exquis et pur, et je m’assure que M. de Vigny, s’il eût hasardé sa muse dans cette direction dangereuse, n’aurait pas eu pour elle moins de respect et de sollicitude. Ce souci de M. Grün s’explique très bien et par son amour de l’art, par son