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dire en passant, une des figures que les choreutes pratiquaient le plus rarement ; car, pour se distinguer des chœurs cycliques, dont les danses étaient circulaires, ils préféraient les figures qui se rapprochent du carré. Ils se groupaient donc le plus ordinairement cinq de front sur trois files, ou trois de front sur cinq files. Un aulète ou joueur de flûte les précédait. Le costume dont on a cru devoir vêtir le chœur me paraît un peu plus austère que ne le comportaient le faste athénien et la dévotion dionysiaque. C’était surtout, en effet, par l’éclat et la richesse des habits, dont ils faisaient les frais, que les chorèges de chaque tribu s’efforçaient de surpasser leurs rivaux. Dans Antigone, le chœur, qui est composé des principaux citoyens de Thèbes, des princes de la patrie, comme disent les traducteurs, aurait très convenablement porté des étoffes de pourpre brodées d’or ; il aurait dû, surtout, avoir la chaussure blanche que Sophocle lui-même avait ajoutée à la parure des choreutes.

Si le costume du chœur peut fournir matière à quelques objections, il n’y a que des éloges à donner à celui des acteurs. Cependant, pour cette portion de la mise en scène, les indications de Berlin ont fait, je crois, défaut aux auteurs. Heureusement, sur cet objet, les renseignemens authentiques ne manquent pas ; on sait, à présent, que ce n’est pas aux vases peints, aux bas-reliefs ni aux statues antiques qu’il faut demander la vérité du costume théâtral. Ce costume procède d’une autre source ; il vient d’ailleurs et de plus loin. Il s’est formé à l’époque où les effigies des dieux et des déesses étaient encore emmaillotées de vêtemens ; il a conservé la longueur, l’ampleur et les nuances tranchantes et variées de l’habit traditionnel usité dans les processions et probablement aussi dans les mystères dionysiaques. On trouve abondamment des modèles du vêtement scénique dans les mosaïques anciennes ; celle, entre autres, qu’a publiée M. Millin ne contient pas moins de vingt-quatre scènes de tragédies[1]. Dans tous les monumens de ce genre où figurent des femmes, on les voit porter, comme les hommes, ce costume à demi oriental, dont des bandes d’or ou de pourpre, des mouches ou des étoiles relevaient souvent l’éclat. On ne peut savoir trop de gré aux acteurs de l’Odéon, et particulièrement à Bocage, d’être entrés aussi résolument dans cette voie nouvelle, un peu étrange, et qui ne paraissait pas sans danger. Les femmes même ont été dociles aux sévères prescriptions de la science : elles ont accepté les amples tuniques bariolées, et les ont portées avec grace ;

  1. Voy. Description d’une mosaïque antique du Musée Pio-Clémentin à Rome.