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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/922

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la France avait été directement appelée à profiter lors de la conclusion du traité négocié par M. l’amiral de Mackau. On savait de plus que l’article 4 de ce traité imposait à Rosas l’obligation de reconnaître la république de l’Uruguay comme état indépendant et souverain. Mais ce qu’on connaissait moins généralement, c’est l’étrange interprétation donnée par ce barbare à cet article de la convention du 29 octobre 1840 ; c’est surtout l’approbation que paraît avoir donnée le gouvernement français à cette insolente interprétation d’un engagement conclu avec son représentant. Rosas continue depuis cette époque la guerre contre Montevideo, il assiége aujourd’hui cette ville, sinon pour en réunir le territoire à la République Argentine, du moins pour contraindre l’état de l’Uruguay à changer son gouvernement intérieur et à nommer pour président le général même des troupes qu’il envoie contre lui. C’est ainsi qu’il entend la souveraineté et l’indépendance de Montevideo, et c’est cette doctrine que paraît, dans ces derniers temps du moins, avoir acceptée la France. Chasser Riveira et introniser Oribe, substituer un principe de barbarie analogue à celui dont il est l’expression vivante et terrible à l’élément civilisateur qui fait prospérer Montevideo, telle est la pensée aujourd’hui avouée du sanglant dictateur de Buenos-Ayres.

Dix-huit mille Français, attirés par la fécondité de ce sol magnifique, sont aujourd’hui établis sur la Bande orientale du fleuve. Cette position maritime est la plus belle peut-être du Nouveau-Monde, et la France se trouve posséder là une magnifique colonie que les évènemens seuls ont créée, et dont l’indépendance politique assurera l’avenir. Le triomphe de Rosas et l’asservissement politique et commercial de Montevideo à Buenos-Ayres rendent inévitable la ruine de leur nouvelle patrie. Sur l’insistance du consul de France, et après plusieurs réunions provoquées et présidées par M. Pichon lui-même, les Français se sont armés ; ils ont formé une légion qui ne compte pas moins de trois mille quatre cents hommes, ce qui constate que toute la population française en état de porter les armes en fait partie, et cette légion défend seule aujourd’hui la ville de Montevideo contre l’armée d’Oribe, qui, en cas de triomphe, menace ses ennemis de barbaries à peine croyables ; et c’est cette légion créée par d’impérieuses circonstances, à l’instigation même de nos agens, qui reçoit tout à coup de ces agens, dont les instructions sont changées, l’ordre de désarmer, sous peine de voir ses membres perdre la qualité de Français ! c’est cette légion armée pour la défense de la vie et des propriétés des Français qui est aujourd’hui bloquée et affamée dans Montevideo par la flotte française elle-même ! La France respecte aujourd’hui le blocus fictif de Rosas, quoiqu’à son arrivée à Buenos-Ayres notre ministre, M. de Lurde, eût fait, le 7 décembre 1842, au gouvernement argentin, sommation d’avoir, en vertu de l’article 4 du traité conclu avec la France, à retirer sans nul retard ses troupes du sol de l’Uruguay, le menaçant, en cas de refus, d’une prochaine intervention française. C’est parce que Rosas a refusé de céder à cette légitime injonction, c’est parce qu’à