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famie, comme celui d’un vil malfaiteur ; il mit à la tête de l’administration des cultes un ancien partisan des idées de Joseph II, M. Goubau, qui écrivait aux vicaires-généraux que, s’ils ne cédaient pas, il leur couperait les vivres ; il s’immisça, quoi qu’en dise la feuille hollandaise, dans l’éducation du prêtre en créant le collége philosophique que l’énergique opposition de l’épiscopat le força de supprimer. C’est l’esprit protestant, nous le répétons, qui lui inspira ces funestes mesures ; car, s’il n’avait consulté que son intérêt de souverain d’un royaume où les catholiques formaient les deux tiers de la population, il aurait agi avec plus de prudence, moins d’acharnement personnel et plus de dignité. Nous n’en dirons pas davantage sur ce sujet pour justifier notre assertion. Guillaume Ier ne sut pas assez oublier qu’il était Hollandais et protestant : ce jugement, on ne peut plus le contester ; il n’est pas du domaine de la polémique, il appartient à l’histoire.


Les gens qui s’ennuient aiment à changer de lieu. C’est peut-être à cette disposition des critiques et des spectateurs, qu’une agréable comédie représentée dernièrement, la Ciguë, de M. Émile Augier, a dû une partie de son succès. Échapper aux éternelles antichambres, aux salons équivoques du vaudeville, pour se voir transportés en Grèce, à quelques pas du Parthénon, a été pour le public une douce surprise. Il y a d’ailleurs assez de talent dans la comédie de M. Augier, pour justifier le bon accueil qu’elle a reçu. En plaçant le lieu de la scène sous le ciel attique, le jeune auteur n’a pas oublié le sel de l’endroit, et la donnée assez neuve et comique de la pièce, relevée par de jolis détails, annonce un talent qui ne manque pas de goût ni d’une certaine originalité. Sans doute, on n’aperçoit pas dans ces deux petits actes une veine abondante qui demande à se faire jour, et l’on ne sent pas un grand essor comprimé ; mais telle qu’elle est, cette charmante bluette donne des espérances : c’est l’œuvre d’un homme qui pourra obtenir des succès au théâtre, s’il ne se laisse pas gâter par une première et peut-être trop facile victoire, et s’il n’écoute pas trop complaisamment les éloges qu’on lui a prodigués. — La jeune muse qu’on flatte outre mesure et qui écoute boit la ciguë.


V. de Mars.