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ÉTAT POLITIQUE ET MORAL DU BRÉSIL.

lieu de solliciter le percement de routes nouvelles, l’ouverture de voies de navigation, ils les repoussent comme inutiles ; leur province, déclarent-ils, est un modèle de perfection, elle réunit tous les avantages ! Le voyageur qui n’aurait d’autre opinion que celle qu’il se serait formée en écoutant les députés brésiliens croirait fermement que l’empire jouit de la plus complète prospérité. Les Brésiliens ne sont que trop portés à prendre à la lettre tous ces brillans rapports ; ils ne doutent pas que toutes les ressources immenses de leur pays ne soient utilisées, et attribuent à l’influence des étrangers le déficit annuel.

Quiconque a pu voir de près les hommes politiques du Brésil s’explique aisément leur légèreté, leur insuffisance sur le terrain des affaires. Rencontrés dans les salons, ils sont agréables et amusans ; leur vanité, qui perce à chaque mot, donne à leur conversation un tour assez piquant Si les idées qu’ils émettent sur l’Europe, sur la politique générale des puissances, ne sont ordinairement qu’un résumé des discussions de la presse, leur grande finesse d’observation, leur jalousie mal dissimulée, renouvellent souvent des thèmes qui paraissent épuisés. Leur instruction est superficielle et variée, ils effleurent toutes les questions, et ont assez de vivacité d’esprit pour traiter un sujet qu’ils n’ont jamais étudié. La causerie, la polémique, les débats de personnes, ont pour eux un charme sans égal ; mais dans une discussion sérieuse, le manque d’éducation première ne tarde pas à se trahir. À la tribune, ces brillans causeurs deviennent des orateurs ridicules ; quand ils ne s’abandonnent pas à leurs passions haineuses, ils font retentir les grands mots de liberté, de droits civils, de constitution ; ils proclament l’empire du Brésil la première puissance de l’univers. Ce n’est pas ainsi qu’on peut traiter les affaires. Qu’on me pardonne de citer un fait puéril, mais significatif. Il y a quelques années, un député compara don Pedro II à l’empereur Napoléon ; un des membres du parti opposé répondit qu’il n’admettait pas la comparaison comme juste, l’empereur Napoléon ayant usurpé la couronne, tandis que don Pedro n’était parvenu au trône que par son droit de naissance et le vœu de la nation. La discussion fut vive ; trois jours furent consacrés à des explications ; aucun député n’osa avouer que Napoléon ne pouvait avoir aucun rapport avec le souverain du Brésil. Don Pedro est, aux yeux d’un Brésilien, supérieur à tous les étrangers ; le moindre de ses généraux est un Napoléon ! Les incidens de ce genre sont communs à la chambre des représentans du Brésil. Le blocus de Montevideo par le général Rosas provoqua une motion fort singulière. Un député monta à la tribune pour demander que le gouvernement en-